Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les gouffres profonds du passé

chiffa.jpg

Les gorges de la Chiffa - Algérie


Où es-tu passé mon passé ? C'est une question que je me pose quelquefois. La mémoire est  une obsession chez moi. Plus que la mémoire le regret de celle-ci. Je ne suis pas une personne particulièrement cafardeuse, mais je peux verser facilement dans  la mélancolie des souvenirs passés. J'aime la vie, le mouvement, l'idée que chaque nouveau jour offre un champ infini de possibilité. Mais je reste fidèle à ma mémoire et attachée à mon passé.

Pour tout dire, j'ai du mal avec la fin : les souvenirs ce sont avant tout des choses qui se sont terminées, qui n'existent plus. On ne peut plus rattraper le passé, il est, comme dit la chanson, si loin et si près, et je ne peux le toucher.

J'ai plus de 30 ans et cela fait bien 20 ans que j'attends de grandir, de devenir adulte. Plus petite, j'étais assez mystique, et je pensais qu'il viendrait un message d'on ne sait où, qui me dirait le moment venu, quoi faire, comment et pourquoi le faire. Et je prenais pas mal de choses au pied de la lettre. Je n'étais déjà pas très intelligente : je pensais que vers 18-20 ans, je deviendrais brusquement quelqu'un d'autre, une adulte portée vers son avenir, avec la maturité et la sérénité nécessaire à l'accomplissement de ce long chemin qu'est la vie.

Mais non. Il n'y a jamais eu de message descendu des nuages, il n'y jamais eu cette transformation d'une enfant en une adulte accomplie. Il y a juste la même personne encore assez lucide pour comprendre que chaque moment qu'elle vivait, qui se terminait, était un morceau d'elle qui lui était arraché.

Je n'aime pas le temps tel qu'on en a conscience, c'est-à-dire le temps linéaire, l'abscisse terne et trop simple. Je préfère m'accrocher à l'idée que le temps possède plusieurs dimensions. Je suis cataloguée comme littéraire (malgré mon amour des fautes d'orthographe...) mais les sciences physiques m'ont toujours attirée. L'étude de la physique est comme celle de la philosophie : un facteur essentiel de la construction de l'âme humaine.

Le temps m'échappe, il file entre mes doigts, et ce qui est passé ne reviendra jamais. J'ai cherché des moyens de me rassurer, de trouver des réponses qui me conviennent. La lecture physique du temps que j'ai pu découvrir chez Einstein, Minkowski ou Planck a pu me donner un peu d'espoir d'un point de vue théorique, mais il n'en restait pas moins que le passé ne revient pas car je ne sais pas dépasser cette dimension linéaire. J'ai longtemps crû qu'en les lisant bien et consciencieusement, je pourrais comprendre ce que ces physiciens démontraient, et alors je serais assez maligne pour sauter dans une autre dimension du temps : quand je vous dis que je ne brillais guère par mon intelligence... Bref, j'ai fini par comprendre qu'en allant plus vite que la lumière j'arriverais à peine à retourner quelques secondes en arrière... Vanité. Je continue à creuser ces théories bien compliquées pour ma petite cervelle, mais en parallèle je me suis intéressée à la notion ésotérique et philosophique  du temps, avec des référents tels que Mircea Eliade, Zénon,René Guénon ou Bertrand Russel. Mais aussi intéressante que soient ces lectures (et franchement elles le sont !), elles ne m'ont jamais apporté la solution immédiate et concrète que j'attends : le moyen de rattraper ma vie dans tous ses moments particuliers qui me sont chers.

Je pensais qu'être adulte c'était accepter de laisser les choses derrière soi, pour ne regarder que devant, ou tout au moins accepter sereinement de ne pas tout maitriser en ce domaine.

Alors j'attendais que ça vienne, la sérénité, le renoncement. Mais le temps se contente de passer, avec lui les moments et les souvenirs, les sentiments, l'amour, la mémoire.

Je ne suis plus aussi angoissée par le temps qu'à 17 ans, mais je reste dépitée par l'idée que je ne peux contrôler le temps. J'aimerais pouvoir sauter allègrement de l'année 1981 à 1992, revenir aujourd'hui et repartir en 1986. Pourquoi les choses se terminent-elles ? Pourquoi ne peut-on revivre éternellement nos moments préférés. Je ne renie pas l'avenir pour autant, parce que le passé a été un moment un avenir qui m'a offert de nouvelles joies.

Je revois mon enfance, des moments d'incroyable insouciance, le soleil dans le jardin de mes parents, ma grand-mère, les oliviers et la colline qui grimpe vers Akbou.

Mon passé c'est le ruisseau qui coulait derrière la maison, les expéditions avec mes cousins dans le verger, comme si c'était une forêt mystérieuse, le sommeil lourd de la sieste quotidienne, les premiers garçons, les lectures d'auteurs inconnus...

 

Je voudrais qu'il n'y ait que des premières fois qui durent toujours.


Où es-tu passé, mon passé
Perdu dans les gorges de la Chiffa ?
Le ruisseau oublie la guerre
L'eau coule comme naguère
Les enfants ne font plus de grimaces
Ils dansent dans la vallée
Ils oublient leur faim et leur race
Ils jouent en liberté

Où es-tu mon passé
Si beau, si loin, si près ?
Où es-tu passé mon passé
Là-bas, ici ou à côté ?

Les pique-niques en famille
Les chapeaux de paille en pacotille
Les tomates ruisselantes d'huile d'olive
Les moustiques partaient sur l'autre rive
C'était le temps de la puberté,
Nous chassions les mauvaises pensées
Les arbres nous tenaient à l'ombre
Nos cœurs amoureux étaient sombres

Où es-tu mon passé
Si beau, si loin, si près ?
Où es-tu passé mon passé
Là-bas, ici ou à côté ?

Où es-tu passé, mon passé
Dans ce village de cyprès
Où coule la source la plus belle ?
Comme un oiseau, mon âme a pris ses ailes
Pour monter là-haut dans le ciel bleu
Rejoindre ce monde étrange de feu,
Le jardin parfumé des artistes,
Graver un nom de plus sur la liste

Où es-tu mon passé
Si beau, si loin, si près ?
Où es-tu passé mon passé
Là-bas, ici ou à côté ?

Mon pays sent bon le jasmin
J'aimerais y retourner demain
Les fleurs ne sont plus arrosées
La terre rouge s'est refermée !
La guerre assassine les innocents,
Les vieux, les femmes et les enfants
Et le ruisseau de ma jeunesse,
Léger, danse avec ivresse

Où es-tu passé, mon passé ?
Le soleil se couche derrière les orangers
J'ai peur d'oublier mes souvenirs
Non, non, il ne faut pas mourir !

Paroles J-C Brialy / Musique P Amoyel



Commentaires

  • Ne souhaite pas que tes premières fois durent toujours (elles n'auraient d'ailleurs plus la même saveur si c'était le cas) mais vois que l'"à venir" t'offre un nombre infini de potentielles autre premières fois et de moments heureux.
    Bises :*

  • C'est l'illusion que la première fois est parfaite, qui donne envie de la revivre :) Mails il est vrai que ce n'est qu'une illusion...

  • J'aime beaucoup ton billet. Moi aussi, j'ai du mal avec les bonnes choses, quand elles se terminent... Et pus cette enfance qui file trop vite, dont on profite si peu...

  • Tout passe trop vite et l'on ne s'en rend compte que trop tard....

  • un billet plein de nostalgie ...pour ma part, le temps m'angoisse beaucoup en ce moment ...

  • Il y a des moments où c'est plus prégnant que d'autre...

  • Très beau billet. Je me retrouve beaucoup dans ton passage sur tes attentes à propos de l'âge adulte, quand tu étais plus jeune. Mais je ne crois pas que ça soit une question d'intelligence, c'est juste qu'on nous dit que l'on va mûrir et ce conditionnement contribue à nourrir des attentes quant à un changement brut alors que non, ça ne se constate pas, ou alors seulement avec le recul, mais plus tard (enfin ça c'est une observation personnelle)... On est beaucoup à passer par là, si ce n'est tout le monde.

  • Oui, c'est universel :) Mais ça ne rassure pas...

  • Maintenant, je ne sais pourquoi, je parviens moins à dire: "je suis pressée d'être au printemps, ou pressée d'une évènement à venir" car j'aime de moins en moins sentir le temps qui file, file, file.....

    Quant aux attentes imaginées de mon adolescence.... Finalement, vieillir ce n'est pas les abandonner mais se dire qu'on a peut-être rêver certaines choses de sa vie.

  • Oui, le passé devient comme un rêve brumeux...

  • Bonsoir,

    La nostalgie, le nevermore,
    c'est en lisant Proust que cette sorte de mélancolie s'est adoucie,
    mon père était de Ain Fakroum, peut être est ce pas loin de chez toi en Algérie?
    Avec le temps, ce pays que je n'ai pas connu, j'ai envie de le connaitre, comme un retour au source,
    alors que paradoxalement mes souvenirs, mon passé est en France.
    La nostalgie est avant tout une histoire de manque, où le temps linéaire est aboli, enfin, c'est mon petit avis.
    Bisous.

  • C'est un peu loin, mais ça me dit quelque chose. Il est toujours bon d'aller où ta curiosité te mène :)

  • Merveilleux billet qui m'a laissée très très émue... Pas grand chose d'autre à rajouter car je voulais surtout te remercier pour cette belle émotion communiquée. Je me suis notamment retrouvée dans cette notion : "J'aime la vie, le mouvement, l'idée que chaque nouveau jour offre un champ infini de possibilité. Mais je reste fidèle à ma mémoire et attachée à mon passé." C'est merveilleusement bien résumé, et c'est ce que j'aimerais pouvoir expliqué à ceux qui me cataloguent comme nostalgique...

  • Je suis très heureuse que tu le comprennes comme ça, c'est exactement ça !

  • Oh c'est A.... qui se souvient, belle ré-édition !! ^_^
    en toute "sagesse" je "reste" en vacances...but love to read (about) you...
    Imagine avoir le double de tes "trente ans" ...?
    ... à très bientôt !!
    :o)

  • Il y a des rééditions qui se font nécessaire :)

  • Joli billet... un peu nostalgique ?
    J'avoue que le temps qi passe me fait quelque fois peur en ce moment...

  • Nostalgique, toujours un peu...

  • il y a peu de temps, je me demandais ce qui était le pire : La mort ou le temps ? de quoi j'avais en fait le plus peur. De mourir ou de me voir mourir... et les souvenirs que je perds. il y a des jours où ce temps m'apaise (en vieillissant je suis mieux dans ma peau). Et d'autres où il me torture. la mort et le temps doivent être frère et soeur :)

  • Très joliment dit ! Frère et sœur, c'est exactement ce qu'ils ont, au vu de nos réactions !

  • Beau texte... réfléchir / écrire sur le temps qui passe, j'évite de le faire trop souvent mais j'apprécie toujours lire la prose des autres.
    Tous les souvenirs qui me reviennent en mémoire à la simple vue d'un couloir, d'une vitrine, bref de tous les lieux que je fréquentais il n'y a pas si longtemps dans d'autres conditions, sont souvent difficiles à porter et je devrais peut-être les faire sortir par ce canal.
    Mais j'avoue préférer la fuite et les noyer sous des heures de cinéma : dans une salle en tête à tête avec des scénarios rondement menés j'arrive à une certaine sérénité.
    Souvenirs souvenirs. Après le repos, ils reviennent, ils sont toujours là : mais au fond de moi je sais qu'ils me permettent de revivre les bons moments aussi :o)

  • On a tous nos secrets pour faire bonne figure face au temps qui passe :)

  • Je suis une éternelle nostalgique, je vis dans les souvenirs, j'aimerais redevenir une enfant insouciante, ma mère serait encore là, mon père serait jeune et bien portant. De tout ce temps il ne me reste que des photos. Quelques fois quand je les regarde assez longtemps, elles prennent vie, ma mère se met à danser et elle rit...

  • Il y a des souvenirs qu'on voudrait bien voir devenir réalité immédiate, je te comprends... Des bisous...

Les commentaires sont fermés.