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charles ix

  • Charly 9 - Jean Teulé

    Organique, triste et fataliste.

    Voilà ce que je dirais du (très beau) roman de Jean Teulé, Charly 9.

    Jean Teulé a le don pour prendre un sujet et l’exploser dans un délire d’écrivain, avec talent.

    Charly 9, c’est Charles IX, roi de France au triste destin. Celui dont le court règne a connu la Saint-Barthélemy, une mère autoritaire et manipulatrice, une famille ambitieuse et sans cœur, autant de raison de se pencher sur la vie de Charly, jeune gamin, roi perdu au milieu des apparats de la fonction, les côtés obscures venant renforcer sa propre noirceur, jusqu’au morbide.

    Charles IX n’est pas un de nos rois les plus connus, en tout cas pas par moi, et j’aurais simplement eu le reflexe de dire que c’est l’idiot qui a ordonné le massacre de la Saint-Barthélemy. Mais Jean Teulé nous offre un autre Charles. On pose sur ce jeune roi un regard presque compatissant, on observe la folie, la sienne, celle de son époque aussi, en craignant une issue, que l’on sait fatale.

    La faiblesse physique et mentale de Charles IX, ce sang qui suinte de chaque mot, comme il suinte du corps du jeune roi, tout cela nous offre des pages des plus organiques mais aussi puissantes.

    Le lecteur éprouvera les souffrances de Charly 9, la vanité de sa situation, son pouvoir qui le tue aussi certainement qu’un poignard qu’on enfonce dans le dos.

    Pour paraphraser ce benêt de BHL, je dirais Charly 9, la royauté sans l’aimer.

    A lire !

    Charly 9 – Jean Teulé

    Pocket – 6€ je crois.

     

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    Extrait :

    "Le monarque sensible, grosses larmes gonflant ses paupières, réplique : "Je me demande parfois si ce n'est pas celle que j'appelle "Ma mère", mon ennemie..." puis, alors que des chiens se mettent à grogner sous la table, Charles s'encolère après sa génitrice en la tutoyant : "Tu n'aimes que Henri ! Je passe mes jours à te l'entendre louer, à l'admirer. Je règne et c'est lui seul que tu chéris." On sent qu'il souffre beaucoup de cette préférence en faveur d'un frère tellement plus italien, plus Médicis que lui : "Sur l'échiquier politique, je suis le roi mais Anjou et toi ne me considérez que comme un pion ! Tuer les chefs protestants invités à la noce... quelle félonie ! Qui de vous deux a conçu ce plan machiavélique ?" 

    Sur la table, il s'empare de l'arbalète qu'il lève : 

    - Et si je vous tirais à tous deux un carreau dans la tête ? 

    Henri se marre : 

    - Avec ton courage de brebis ? 

    Face à l'air hautain et dédaigneux du duc d'Anjou, le roi piteux dépose l'arme et retourne s'asseoir en son royal fauteuil trop large pour lui. 

    Quoique derrière son dos la fenêtre du cabinet soit grande ouverte sur Paris, oppressé par la moiteur étouffante de cet été - l'air est chaud et lourd, ça sent l'orage -, Charles déboutonne sa fraise et les boutons de nacre du col de sa chemise. Il respire longuement : 

    - Capitaine Gondi, vous dites cent morts... mais dans les rues où logent des Coligny, Foucauld, Andelot et autres, vivent des voisins, souvent protestants, qui entendraient des cris et accourraient au secours des victimes. Que feriez-vous à ces huguenots-là ? 

    - On les tuera. 

    - Certains ont des épouses que vous assassineriez également j'imagine. 

    - Ah ben oui, quelques femmes aussi peut-être. On ne peut pas savoir. 

    - Il y aurait des vieillards... 

    - Ah ça, les vieillards, vous savez, Majesté, dans le noir, on ne voit pas trop l'âge non plus ! 

    -... Et des enfants. 

    - Des enfants aussi, c'est possible. S'ils sont un peu trop à brailler, accrochés à la chemise de nuit de leur mère, je ne dis pas qu'il est inenvisageable que plusieurs reçoivent pareillement du fer. 

    Le roi blêmit et tandis que le garde des Sceaux minimise : "Il s'agira quand même de pêcher surtout les gros saumons sans trop s'amuser aux grenouilles...", Charles poursuit ses comptes : 

    - Ah, mais ça ne ferait pas cent mais mille morts peut-être... 

    "Peut-être", reconnaît avec désinvolture le duc de Nevers. Tavannes acquiesce. 

    - Mille morts ? 

    Le monarque lance mille injures à tous ceux présents dans son cabinet, les appelle assassins."