J’aime bien les petits chemins de traverse, parce qu’on y trouve souvent de jolies fleurs.
Alors que j’attendais patiemment les pivoines de mai, février m’a offert de jolies fleurs bleues, celles de Raymond Queneau.
C’est un bouquet qui ne se laisse pas facilement cueillir, si on n’ouvre pas un peu son cœur et son esprit.
Mais moi, j’étais prévenue, et puis j’aime bien les choses un peu étrange, un peu hors cadre, et le fondateur de l’Oulipo, le hors cadre, ça lui connaît :)
Alors, ces Fleurs Bleues, quelles sont-elles ? Des fleurs que l’on cueille au creux des songes. De drôles de songes, des rêves extraordinaires, rêvés par… Rêvés par qui donc ?
Cidrolin sur sa péniche ? Le Duc d’Auge sur son cheval ?
Et si je tentais un résumé, avant de vous perdre en chemin :) ?
Le roman est basé sur cette célèbre démonstration chinoise (démonstration qu’on désigne sous le nom d’apologue) « Tchouang-tseu rêve qu'il est un papillon, mais n'est-ce point le papillon qui rêve qu'il est Tchouang-tseu ? »
Dans notre roman, nous avons Cidrolin, qui vit sur une péniche, peint et repeint une barrière souillée chaque jours mystérieusement, indique le chemin du « campigne » à des campeurs insolites, avant de s’endormir pour une sieste, dans laquelle il rêve du Duc d’Auge…
A moins que ce ne soit le Duc d’auge sur son fier cheval bavard, qui rêve de Cidrolin, entre deux révolutions ? Qui sait.
En tout cas, le Duc d’Auge voyage, de siècle en siècle, l’épée leste et le verbe fleuri, jusqu’à rencontrer Cidrolin, alors qu’il cherchait le chemin du campigne :)
Le livre est riche, comme un mille-feuilles, il y a de multiples possibilités d’interprétation, et autant de détails à repérer. La finesse du vocabulaire, la drôlerie, l’absurdité des situations, tout cela fait de ces Fleurs Bleues un ouvrage unique. Chacun peut y puiser ce qu’il veut, apprécier les petits détails qui apparaissent et disparaissent au gré des lectures.
C’est aussi une œuvre remarquable par le voyage dans le temps qu’elle décrit. J’ai toujours été très préoccupée de ses questions sur le temps. Et là, la rencontre improbable de Cidrolin et du Duc, puis le largage de la péniche, qui part emmenant le Duc et sa cours avec lui, la petite barque qui ramène Cidrolin vers le rivage… Tout cela m’a fait penser à ma propre idée du temps, une sorte de cercle concentrique, avec les personnes et les situations qui se reproduisent comme dans un drôle de miroir… Un peu comme les galets que l’on jette dans l’eau et qui forment des cercles concentriques.
Bref, un roman, riche, incroyable par delà les situations un peu absurdes, un livre qui se savoure.
Quant aux Fleurs Bleues du titre, nous ne les apercevons qu’à la toute fin du livre. Finalement, elles désignent peut-être notre cœur, et notre esprit, quand on les laisse ouvert et propre à accueillir ce qui est hors cadre, comme l’amour, ou n’importe quelle autre absurdité ?