Shakespeare écrivait que la vie est une fable racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. Je suis certes d’accord avec la première partie de cette affirmation : il faut être aveugle pour ne pas voir le bruit et la fureur noyer régulièrement toute forme d’espoir sur cette terre. Mais dire que cela ne signifie rien, non. Bravons le grand William et osons dire, espérer, croire, que cette fable de bruit et de fureur porte une signification essentielle. Je ne saurais dire exactement laquelle, si ce n’est que cela tourne évidemment autour de l’espoir, des leçons retenues et du progrès vers le meilleur.
Le roman d’Ariane Bois, Le Gardien De Nos Frères, s’ouvre à l’issue d’une de ces périodes de bruit et de fureur, terrible et glaçante. La seconde Guerre Mondiale vient de se terminer, et Simon, jeune juif survivant du maquis, part à la recherche de sa famille. Dans le chaos de l’après-guerre, il apprend assez rapidement la mort de ses parents, mais il lui reste l’espoir de revoir son petit frère. C’est à travers la quête de ce petit frère disparu que Simon, et le lecteur, vont mettre le pied dans un pan oublié de l’après-guerre : l’histoire des dépisteurs.
Ils sont nombreux, comme Simon, à chercher leurs proches, ses enfants rescapés des rafles, cachés par les différentes filières de résistantes, ou simplement par des êtres humains qui n’avaient pas abdiqué toute humanité. Une fois la guerre fini qu’allait-il advenir de ces enfants cachés ? Bien peu se sont posé la question, du moins publiquement. Avec Simon nous découvrons donc le mouvement des Éclaireurs Israélites de France qui part à la recherche de ces enfants pour tenter de réunir des lambeaux de familles. Les dépisteurs, comme ils se nomment, parcourent la France, suivent les pistes, les filières, pour retrouver les enfants cachés de la guerre. Et là, tout les cas de figure s’offrent aux dépisteurs. Des enfants ont eu la chance de trouver une famille aimante, d’autres on servi de bras à peu de frais, d’autres sont maltraités. Mais à chaque fois le même souci : négocier la récupération de ses enfants, reconstruire un lien avec ce qu’il reste de la famille, ou, pour les orphelins, rejoindre une maison d’enfants pour tenter de se reconstruire.
Parallèlement à cette confrontation à l’Histoire dans ce qu’elle a de plus désespérant, Simon va vivre une histoire d’amour avec Léna, qui l’accompagne dans sa recherche des enfants juifs cachés. Cette relation vient à point équilibrer un roman qui frôle souvent avec la noirceur. Mais comment l’éviter ? C’est un talent qu’il faut reconnaître à Ariane Bois : elle a su ne pas sombrer dans le pathos, ni la froideur clinique de l’historien. Il y a dans ce roman un bel équilibre oui, entre le désespoir de la guerre qui ne se termine que dans les dates mais pas dans les conséquences, et l’espoir, magnifié par la romance entre Simon et Léna, et la mission des dépisteurs. Le personnage de Léna est aussi très central, du moins pour la lecture que j’en ai faite, car cette femme s’est battu, c’est une rescapée, mais elle est bien plus qu’une victime, elle est une combattante. Comme Simon d’ailleurs. C’était important pour l’auteur, qui s’en est confié lors d’une rencontre, de montrer aussi que dans la fureur de cette guerre, les juifs n’ont pas manqué d’offrir leur tribut à la Résistance.
Un beau roman, emmené par deux personnages finement dessiné par l’auteur, en ombres et en lumière. C’était d’ailleurs intéressant et presque touchant d’entendre l’auteur parler de la genèse de ses personnages, et de comment elle construit une chair de papier petit à petit. Cette chair là fait frissonner celle du lecteur.
Un roman qui pousse à se poser des questions, au-delà du récit, et qui ne peut laisser indifférent. Un roman qui donne une signification à la vie : se battre pour ce que l’on espère de meilleur en nous. Et surtout qui donne une signification à cette question que pose Caïn dans la Bible quand il demande à l’Eternel qu’il est le gardien de son frère Abel. Oui, comme Caïn est le gardien de son frère, nous autres humains sommes les gardiens de chacun nos frères et sœurs sur cette Terre
Le Gardien De Nos Frères – Ariane Bois
Edition Belfond - 400 pages