Cela faisait un moment que je me trouvais perdue dans mes lectures. Perdue au sens où rien récemment ne m’avait conduite à m’asseoir sur une chaise, à regarder devant moi et à me trouver incroyablement chanceuse d’avoir pu lire telles lignes. Je ne parle pas d’un livre qui aurait changé ma vie, pour reprendre l’antienne favorite de François Busnel, mais simplement d’un livre qui me remette avec fracas au cœur de l’essentiel.
En début de semaine j’ai eu une de ces claques littéraire, plus qu’une claque un truc froid et coupant, qui vient trancher à vif dans la monotonie du jour. Je vais arrêter là avec les métaphores vaseuses, mais ce n’est pas par vice : le fait est que j’ai du mal à exprimer ce que je ressens de cette lecture sans y recourir.
Alors, ce livre me direz-vous ? Bois II par Elisabeth Filhol.
Un sujet âpre : après une énième reprise, un site industriel n’en finit pas de péricliter. Les ouvriers de l’usine, simples lignes sur un plan de licenciement, entament une grève qui s’opère dans un contexte de violence économique que l’on connaît bien maintenant. Le roman va raconter un instant de révolte ouvrière, la séquestration du patron par ses salariés, dans un contexte de négociation difficile. On oublie bien vite qu’avec le vocabulaire orwellien que nous sert la gauche la plus infidèle à ses principes, un plan de préservation de l’emploi, ou un plan social, ne reste jamais qu’un plan de licenciement massif, qui laissera sur le carreau des hommes et des femmes.
Elisabeth Filhol raconte l’histoire d’une usine, à travers son fondateur historique, comment cette histoire ancrée dans un terroir se mêle à l’évolution de l’économie mondialisée, comment d’une entreprise familiale on arrive à la dépersonnalisation totale des rapports de travail, à une véritable déshumanisation. Elle nous raconte l’histoire d’hommes et de femmes inscrits dans une histoire économique locale, pris dans la tourmente de la finance.
L’obsession financière prend largement le bas sur le projet d’un tissu économico-industriel. Le changement n’est pas pour maintenant. C’est un peu la même peste qui atteint la société dans son ensemble, quelque soit le domaine : on forme encore des juristes, des ingénieurs, des pharmaciens, des géographes, que sais-je encore, mais le fait qu’à tous, de plus en plus, on ne demandera pas d’avoir une vision, un projet, mais de faire du commerce, du marketing, de la comm’, de la vente, du chiffre. Et c’est exactement ce que représente Mangin, le patron du roman : au départ, ingénieur, homme de projet, de réalisation, il se mue en investisseur avec sa calculette. Et c’est ce que refusent les grévistes du roman : n’être que des lignes comptables.
Il y aurait encore beaucoup à dire de ce roman, mais autant le lire et vous faire votre opinion, je ne peux que vous y encourager. Je suis ressortie de cette lecture très pessimiste, mais avec une volonté paradoxalement plus raffermie.
Commentaires
Eh oui faut se préparer à vivre hors du système , parce que faut pas croire , ce que subissent les ouvriers depuis plus de 20 ans , bientôt ce sera le tour des fonctionnaires des ingénieurs des pharmaciens des médecins et des avocats aussi , bon nous on aura quand même bien vécu mais que vont faire les enfants ? Dans quoi vont ils bien pouvoir travailler ?
Où va-t-on ?
tu l'avais déjà évoqué dans un commentaire et ton billet ne fait que renforcer mon envie de découvrir et le livre, et l'auteure.
Vraiment je la conseille sans scrupules !
Merci pour cette découverte, ça n'est pas un livre vers lequel je serais allée naturellement.
Bise
C'est un auteur un peu aride mais qui réveille en nous de vrais bons questionnements !
Merci de l'info sur ce bouquin, on le lira.
J'ai néanmoins peur que ce genre de texte ne soit qu'une autre couche de vocabulaire orwellien, à sa manière, contre-ajouté sur le vocabulaire orwellien de gauche de gouvernement que vous dénoncez, lequel se superposait déjà à d'autres couches antérieures, plus anciennes. La description du réel, quel que soit le point de vue qu'on adopte, ne libère pas du réel. Quant à la littérature je pense perso qu'elle n'a rien à voir avec le réel brut mais avec la manière dont on le pense. Le génie de Zola c'est moins de décrire une réalité sociale que de faire du Zola : être parfaitement original dans la construction de son point de vue. On espère que c'est le cas d'Elisabeth Filhol. Une publication chez POL devrait en principe nous le garantir.
Je peux dire qu'il y a chez cet auteur une liberté qui fait bonheur à lire: pas de clichés misérabiliste, ni de parti pris envers l'un ou l'autre des personnages, ce serait presque une enquête clinique s'il n'y avait en plus cette part d'humain dans son regard.
Quand il sera en poche...
Je n'achète plus ces éditions trop onéreuses.
Bon dimanche!
Je l'ai emprunté à la bibli, je suis comme toi, je n'achète quasi que des poches.
C'est vrai que le sujet qui parle de notre société et de ce monde impitoyable de l'entreprise ne peut que me plaire. Par contre Claude a raison de dire que, au point de vue littéraire, pour que le roman soit intéressant il faut qu'il dépasse le réel; Tout le monde ne peut pas être Zola; mais pourquoi pas pour celui-ci?
Je crois que ce roman tient toutes ses promesses !
Je note, j´aime avoir vos avis mes amies francaises, même si je ne me trouve maintenant pas perdue dans mes lectures, lol.
Mais j´organise mes vacances d´été, alors c´est le moment idéal pour la lecture.
Bonne semaine avec bisous
Elisa
C'est dur de faire son choix, tant il y a de choses à lire !