La Belgique n’existe pas, c’est un rêve. Comme tous les pays du monde. Pardonnez-moi pour ce début un peu abscons, mais c’est la réflexion qui m’est venue, en terminant l’excellent roman de Patrick Roegiers, Le Bonheur Des Belges.
Je cherchais un auteur contemporain à lire, et en tombant sur ce titre comment ne pas penser au Chagrin Des Belges, de Hugo Claus ? Ma curiosité étant ce qu’elle est (énorme), me voilà embarqué pour un périple fantaisiste et grave.
Le roman s’ouvre avec un petit garçon, une maison de briques et Yolande Moreau.
Commence alors avec l’enfant un voyage en Belgique, à travers le temps et les territoires. Les événements historiques marquants de la Belgique sont ainsi prétextes à une balade surréaliste (coucou Magritte). Tout ou presque y passe : de Waterloo à Marc Dutroux en passant par la Castafiore. C’est subtil, et puis délirant, et grave et ensuite facétieux. C’est la Belgique dans un costume aux mille reflets. Et chacun de ces reflet est précieux, chacun grave en nous un peu de belgitude.
C’est peu dire que j’ai aimé. Je sais qu’il n’est jamais bon de comparer, surtout en littérature, mais la démarche et la folie de ce roman m’a rappelé un autre de mes livres de chevet : l’Histoire Du Juif Errant, par Jean d’Ormesson. Même foisonnement, même érudition, même folie surréaliste qui nous emporte sans jamais nous perdre. Le genre de roman initiatique, où l’initié, finalement, c’est le lecteur : c’est lui qui arrive au bout du récit avec en cadeau une nouvelle vie à vivre.
Un vrai coup de cœur pour moi, et l’occasion de découvrir le reste de l’œuvre de Patrick Roegiers.
Merci à Anne et Mina, de m’avoir donné cette occasion de lire un si beau roman, grâce au Mois Belge.
Extrait :
« Je vois une maisonnette de briques rouges, à la façade jonquille, à six fenêtres, avec des volets bleus et des bacs de géraniums, qui ressemble à un dessin d'enfant. Est-ce moi qui l'ai fait ? Je m'approche à pas comptés. Il n'y a pas de sonnette ni de nom et la porte d'entrée n'a pas de clinche ni de serrure. Je frappe. Toc-toc-toc. Personne ne répond. J'entre. Quelle charmante maison, me dis-je. Il fait bon ici. Tout est très beau. Que de jolies choses ! Quel cadeau pour les yeux ! Au centre du salon, à côté de bocaux remplis de friandises (dragées, nougats, pralines, sucettes), trône sur un guéridon un gâteau d'amandes, de crème pâtissière, de sucre et de liqueur, avec un petit carton où je lis : «C'est pour toi».
Et soudain retentit une voix terrible.
- Qui est dans la maison ?
- C'est moi, dis-je.
- C'est un lieu sans adresse. Entre.
- Je suis déjà dedans.
- Tu es ici chez toi. D'où viens-tu ?
- D'une autre planète.
- Très drôle.
- Je fais ce que je peux.
- C'est toi qui fais tourner le monde ?
- Il tourne bien sans moi.
- Et c'est à cette heure-ci que tu rentres ?
- Il n'est jamais trop tard.
- Approche donc.
J'avance sans dire un mot, semblable à l'oiseau qui répond à l'appel de l'appeau. Tout à coup elle apparaît. Elle ne porte pas une robe à fleurs, une robe de rêve ou tachée de sang, une robe de mariée ou un sac qui gonfle avec le vent, ni une ample robe mauve et un gilet vert anis aux manches larges, une robe cloche ou une robe à lignes qu'elle a elle-même confectionnée, une robe de Cendrillon du Nord, avec un tablier de femme de ménage, ni une robe extravagante comme Séraphine qui porte aussi une tenue d'internée et peint le rouge avec du sang de porc mêlé à de la cire de cierge, et s'exclame d'une voix forte.
- Ah, te voilà !
- Oui, me voilà.
Et je ne lâche plus un mot. Je la reconnais sous son faux crâne, avec ses pommettes rosies comme des rainettes, ses yeux bleus malicieux, son sourire enfantin, son nez de carotte et sa tignasse acajou, sa robe à rayures et sa sacoche, son accent belge à couper au couteau qu'elle accentue à souhait. Quelle actrice ! Lourde, un peu voûtée, chaude comme une baraque à frites, mégère pistachue, harpie fessue, carabosse hideuse, gorgone glapissante, qui pourrait être Médée, elle est le personnage de son film Quand la mer monte. »
Tip du jour →
Commentaires
Je crains, à la lecture de ton avis et de l'extrait, que ce ne soit trop surréaliste pour moi... Mais ça fait plaisir de lire que le mois belge permet de telles découvertes et est l'occasion de telles curiosités, c'est l'un de ses premiers objectifs. Comptes-tu lire d'autres titres de cet auteur ?
Oh oui je compte bien continuer à lire cet auteur étonnant !
Je rejoins Mina ... surtout à la lecture de l'extrait même si ton billet donne très envie ;-)
Le côté surréaliste ne devrait pas t'effrayer ^^
J'ai entendu parler de ce titre dans un ancien Livrés à domicile, c'est possible ? Evidemment l'auteur a donné ce titre pour contre-balancer "Le chagrin des Belges". Ca pourrait peut-être me plaire, il faudrait que je le feuillette. En tout cas, je suis contente qu'il t'ait procuré un coup de coeur !
Oui, un vrai coup de cœur ! J'espère encourager d'autres lecteurs !
Je suis sceptique (après l'extrait) mais l'essentiel est que tu aies eu toi un coup de coeur, ça n'arrive pas si souvent que ça !!! ;)
L'aspect surréaliste semble rebuter pas mal de monde malheureusement.
Tu m'intrigues... C'est pas comme si je n'avais rien d'autre à lire en même temps ! ;-)
Que la curiosité te pousse à le lire alors :)
J'aime beaucoup la façon dont tu en parles! Pour un voyage à travers toute la Belgique, sa géographie et son Histoire, je suis partante. Mais comme beaucoup, l'extrait me freine. A l'occasion, si je le trouve à la bibliothèque! C'est un auteur que je ne connais pas du tout.
Il mérite vraiment la peine !
Un livre super génial, je suis heureuse que tu aies aimé. L'extrait peut donner une idée étrange du livre et pourtant à ne pas laisser passer. Bonne journée.
Oui, il faut tenir et lire, il mérite vraiment l’attention qu'on lui consacre !
je retiens je retiens!!!!
super! surtout que les vacances approchent!
xxx
Il ira bien dans ta valise :)
J'ai découvert ce roman lors du mois belge 'an dernier et j'ai été beaucoup moins enthousiaste que toi. A mon goût, il foisonnait un peu trop. Mais ce qui est bien avec les livres, c'est qu'ils trouvent toujours au moins un lecteur qui les aimeront. :)
Oui, il en faut pour tous les goûts :)