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Il est doux de se croire malheureux, quand on n'est que vide et ennuyé

C’est la révolution en Tunisie, et moi je revenais tout juste d’un voyage au pays Irrépressible de la Réalité Linéaire. C’était chiant. Les tunisiens déboulonnaient Ben Ali et je me triturais le ciboulot pour savoir pourquoi quoi qui où en vain, la réponse n’existe pas. Ou alors quelqu’un me la donnera au soir où mes yeux se cloront pour toujours. Les tunisiens révolutionnaient dans le jasmin (parait-il) et moi je ne pensais qu’à  Chergui de Serge Lutens. Mon flacon était tombé de la table, d’assez haut pour se briser, mon cœur avec, et l’odeur chaude et envoutante de se répandre dans la pièce. Elle ne la quitte pas. Mon cœur se brise encore à chaque fois que je pénètre l’endroit. Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait la tristesse. Pourquoi les larmes montent-elle quand je respire ce parfum ? Ce n’est pas le flacon que je regrette, rien qui ne soit remplaçable. Mais l’avoir laissé tomber, se briser à mes pieds, sentir ce parfum  me monter à la tête… C’est comme si je ne pouvais rien tenir entre mes mains, rien faire qui soit un peu solide. Un cœur se brise pour un peu trop de parfum versé. L’odeur persistante vient réchauffer la moquette, les murs, un coussin… Je m’allonge sur le lit, le coussin contre moi, et je revois tout ce qui m’a échappé, des mains, de ma vie, de mes pensées. Tout n’est que fuite, et moi je reste statique.

C’est la Révolution en Égypte et moi je comble le vide de « quoi » en accumulant des dessins idiots sur des carnets de toutes les couleurs. Un pantone d’émotions, de questions, finalement aussi brumeux qu’un arc-en-ciel raté…Un dictateur s’en va, un autre lui succèdera, une certitude presque rassurante, qui donne un repère, un point d’ancrage. Quelque chose contre lequel s’élever. Que vais-je devenir si la liberté des peuples m’enlève les motifs de mes indignations, les raisons de rester encore debout, pour se battre de loin contre des tyrans anonymes à mon vrai monde. Que me reste-t-il encore, sinon cet égotisme de petite fille qui crie, qui exige qu’on lui laisse son jouet, son dictateur à honnir. Les tyrans tombent en Égypte et je peux inscrire dans le carnet bleu marine numéro trois, qu’une journée encore s’est passée sans que je me libère de ma hargne égoïste à vouloir dominer tout et tous, juste pour ne plus avoir peur. Juste pour voir au travers de ma boite.

C’est la révolution en Libye, et le hasard, toujours ironique, moqueur, insultant presque, me fait tomber dans un désir de dunes, de sable, de vide infini. Un vide où il n’y aurait que moi, un carnet, le jaune numéro deux, celui des désirs cachés. Un carnet où je pourrais noter ce qui dans ce désert me manque vraiment. Le vide se comble par le vide. Curieux, mais c’est comme ça. Un chef d’Etat en bout de course fait tirer sur la foule et je pense au désert si tranquille. Je suis absente de ma propre vie, je regarde celle des autres, je l’envie et la méprise tout en même temps. Je sais que si l’on me donne ce bout de désert, je saurais voir plus clair, comme si la toile de fond de mon existence s’y animait…Les carnets, c’est comme les déserts et la vie, ils ne se remplissent que de soi.

Rêver et vivre, c’est la même chose, sauf que rêver fait moins mal.

 

révolution, serge lutens, chergui, tunisie, egypte, jasmin, vide, désert


 

***le titre est d'Alfred de Musset.

Commentaires

  • Et dire que j'ai atterri sur ces series de blogs grace aux frères Bogdanov en faisant des recherches sur ceux qui s'étaient barrés avec la caisse suite à la révolution iranienne !

  • Au moins tu as la capacité de remettre ton vide et ton ennui dans leur contexte et de voir qu'il se passe aussi d'autres choses ailleurs. Même si, sur le moment, difficile de sortir de sa propre bulle et de compatir/combattre avec son prochain...

  • J'essaye :)

  • Moi je trouve ça plutôt rassurant parce toi au moins tu évoques ces évènements HISTORIQUES alors que l'ensemble des blogs de nénettes n'en évoquent RIEN de RIEN, elles semblent être dans le déni du monde, repliées sur leur monde (enfantin). Dommage!

  • Parfois on aime cloisonner, un peu trop...

  • C'est très zoli et très profond ce que tu écris, pas du tout vide !
    (Comme le billet précédent, qui était vraiment top de chez top).

  • Merci de tes mots :)

  • J'ai été très émue par ton texte qui évoque avec beaucoup de justesse des sentiments très humains... J'aime te lire, Océane et je suis bien contente que tu sois de retour sur Terre! ;-)

  • C'est un très beau texte Océane. Qui invite à la réflexion et au décentrage.
    Je viens de terminer "Le siècle identitaire" sur la post-colonisation, texte que l'actualité vient éclairer.

  • Je suis sous le charme de ton écriture... et j'espère qu'un jour tu fouleras le sable de ton désert afin de voir ton existence prendre corps !!
    Vivre ça fait mal mais ça laisse moins de regret !! Fonce !!

  • " Ma " Belle Plume est de retour....

  • c'est beau!

  • vous êtes triste comme une journée de novembre, vide comme une baignoire, trop belle pour mourir, et sûrement plus joyeuse que vous ne le pensez...

  • j'aime beaucoup tes textes :-)
    mélancoliques, mais qui forcent à réflechir :-)
    heureuse de revenir te lire :-)

  • Que te dire, hier tu parlais de fesses, et de jolis mots, mais c'est qu'il est tellement plus facile de rajouter quelques lignes, souvent stupides, à un billet léger, que là, là, après cela.
    Qu'est ce que tu peux dire qui ne serait ridicule ?

    Voilà l'explication à tes questions d'hier, Océane.

  • moi aussi j'adore rêver et donc j'évite toujours la petite lucarne, qui déforme bien souvent la réalité, et qui manque de recul. parfois je me dis aussi que c'est vraiment une épreuve de ne pas digérer tout ce qu'on nous montre... bah non je n'arrive pas à rester à regarder ces trucs nuls qui ne servent à rien..
    alors je file vite lire ou marcher en bord de mer.. c'est mieux et quel calme.

  • mon comm' en fait concerne aussi l'article ci-dessous.
    j'ai en fait par inadvertance tout regroupé en un seul.

  • @Gwenaelle : Merci :)

    @Alice : l'actualité nous revient en pleine tête...

    @Inari :merci à toi !

    @Stéphanie : je ne suis jamais loin...

    @Nymphette : merci !

    @Marronnier : il y a des hauts et des bas, comme tout le monde...

    @Eddie : merci à toi :)

    @Dom : tu as raison, au sens où je me soucie trop de ce qu'on peut penser de telle ou telle chose. je vais essayer d'être juste moi, et voilà :) merci de tes mots !

    @charles : le bord de mer me manque pour ça...

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