Herbe de bison et péroraison #1
La voix du jeune homme n'était que lassitude, mais au moins il avait quitté sa chaise.
« Je ne sais pas encore.» La jeune femme, elle, gardait son ton insouciant, presque mutin.
-Et votre prénom, c'est quoi ? On se parle depuis un moment...
-Marine, comme le pull, au fond de la piscine.
-Et moi c'est Erwan.
-Je ne vous demandais pas votre prénom, ce n'est pas essentiel pour l'instant. Je ne vous connais pas après tout.
-Justement, c'est pour ça, enfin on se présente quoi, non ?
-Parce que votre prénom dit tout de vous ?
-Non, bien sûr. Mais c'est encore un truc dont je suis certain, mon prénom.
Marine gardait toujours ce sourire narquois, comme si elle se moquait de tout, de lui plaire, de le peiner. Erwan la détaillait, maintenant qu'ils étaient tout deux debout dans l'embrasure de la porte.
Elle portait une robe noire, assez collante, qui laissait deviner son corps. Une robe d'une sobriété aussi impeccable que sa coupe, en tout cas à ce qu'il y connaissait.
L'ensemble serait un peu sombre, sans cette paire d'escarpins couleur doré.
Marine intercepta son regard :
-Ce sont mes chaussures que vous regardez comme ça ? La couleur c'est champagne.
Erwan l'aida à remettre sa veste, et tout deux se dirigèrent vers la porte. Il continuait de la détailler. Une jeune femme brune, la trentaine peut-être. Ses escarpins claquaient contre le sol du bar.
« Vous venez, Erwan ? » toujours ce ton légèrement moqueur, amusé.
Dehors, l'air était tiède, une fin d'après-midi estivale, douce. Qui pourrait être douce s'il n'y manquait Marie.
Marine, Marie. Des prénoms proches, mais pour le reste, elles semblaient différentes.
Non. Si. Peut-être qu'au début Marine avait cette légèreté dans la voix, cette insouciance qui est toujours séduisante. L'insouciance s'était muée en indifférence.
Ils marchèrent quelques mètres dans la rue.
« Pourquoi m'avoir abordé ? » Erwan posait cette question pour la forme, histoire de ne pas laisser un silence gênant s'installer. Mais pas de gêne avec Marine : elle semblait aussi à l'aise que s'il s'agissait de se promener avec un vieux copain.
-Disons que vous m'avez intrigué, à commander ces verres sans les boire. A rester presque immobile, l'air grave et triste. Et puis c'est une mauvaise habitude que j'ai, de vouloir secourir mon prochain, de m'intéresser à ce qui lui arrive.
-Pourquoi serait-ce une mauvaise habitude ?
-Parce qu'on finit toujours par en vouloir à celui qui nous a secouru, c'est dans l'ordre des choses.
-Je ne pourrais pas vous en vouloir...
-Attendez donc que je vous aide, avant de dire des bêtises. Et vous en dites des bêtises.
-Des bêtises ?
-Oui. D'abord qualifier Julien Clerc de bellâtre me donnerait presque envie de tourner les talons et de vous laisser vous débrouiller, mais je suis d'humeur compatissante aujourd'hui, vous avez de la chance. Et puis je n'ose imaginer les bêtises qui passent par votre tête au sujet de vous, Marie, de cet amour qui se termine. Je suis certaine qu'il y aurait de quoi ravir les scénaristes de « Feux de l'Amour ». La pire des bêtises c'est de se croire unique. Une autre encore est de penser que nos sentiments sont indépendants de nous. Vous voyez donc qu'en terme de bêtise, vous êtes assez fort.Et une autre bêtise encore : vous pensez que je vous drague, et qu'on finira par coucher ensemble.
Erwan se prit à rougir et se mit à bafouiller : « non, pas du tout, je.. »
-C'est mignon de rougir. Probable qu'on couche ensemble. Tout est fonction de l'humeur, des mots. Il faut oublier les bêtises et se concentrer sur les mots. Et puis c'est vrai que vous êtes beau, même non-rougissant.
Elle partit d'un éclat de rire, et lui prit la main.
-Venez, on va s'asseoir, là, sur ce banc. Un peu de lecture encore ? Bon, on va dire que vous n'avez pas le choix, d'accord ?
-Oui.
Erwan n'aimait pas l'inattendu en général, mais après tout, planifier sa vie avec Marie l'avait conduit à un mur.
Marine reprit son recueil, et tourna les pages avec concentration, avant de déclarer d'un air triomphant : « Voilà !»
Erwan s'assit près d'elle.
-Alors, nous allons voir ce que Walter Scott pense de votre situation :
L'Amour véritable est le don que
Sous tout le firmament
Dieu n'a fait qu'à l'homme
Ce n'est pas le feu ardent de la fantaisie
Dont les souhaits, aussitôt exaucés, s'envolent.
Il ne vit pas dans le désir brûlant
Ni ne meurt avec lui.
C'est une sympathie secrète,
Un maillon d'argent, un lien soyeux
Qui dans l'âme et le corps
Peut unir à jamais les cœurs et les esprits.
True Love's the gift wich God has given
To man alone beneath the heaven:
It is not fantasy's hot fire,
Whose wishes soon as granted fly;
It liveth not in fierce desire,
With dead desire it doth not die;
It is the secret sympathy
The silver link, the silken tie,
Wich heart to heart, and mind to mind,
In body, and in soul can bind
"Quel rapport avec moi ? » La question fusa aussitôt le poème lu.
- Le rapport ? Il est évident. Vous pleurez sur votre amour depuis un moment, et vous ne vous posez pas la question de la nature de cet amour ? Non, ça ne vous intéresse pas ?Je ne connais pas votre histoire ni cette Marie si précieuse. Mais je sais que vous n'arrivez pas à lui parler, et elle, n'a rien à vous dire. Où voyez-vous un quelconque lien spécial, une quelconque sympathie secrète ? »
-On s'entendait bien au début...
-Oh, s'entendre bien, cher Erwan, c'est facile, tant que la situation le permet, que rien ne vient vous mettre à l'épreuve, s'entendre bien est facile. Vous vous entendez bien avec votre boulangère, je suis sûre, ou vos collègues de travail... Ou même avec moi.Et puis, pourquoi êtes-vous si triste ? L'amour n'est pas une chose triste. Il ne le devrait pas en tout cas.
-Moi ? J'irais dîner avec un charmant jeune homme, parce que j'ai faim !
Marine se leva brusquement et lui prit la main, l'entraina avec elle :
« Allons manger quelque part, et puis si vous êtes sage, cher Erwan, nous irons lire quelques pages chez moi ! Oh mon Dieu je me fais l'effet d'un pervers polymorphe qui propose à une innocente victime d'aller voir ces estampes japonaises ! Promis je ne vous ferais pas de numéro de charme entre la poire et le fromage ! Et puis, vous ne céderiez pas, vous êtes tellement amoureux, n'est-ce-pas ? »
Elle semblait ravie de sa petite sortie et riait encore et encore.
Erwan commençait à apprécier la situation, malgré sa bizarrerie. Marine était à la fois simple, désarmante et étrange aussi.
Elle avait quelque chose d'attirant, en dehors de son physique bien sûr.
Après tout, que craignait-il ? Au mieux, il passerait une agréable soirée avec une agréable jeune femme, au pire il finirait par coucher avec elle. Au pire... Pourquoi au pire ?
Il se lança : « allons maintenant chez vous, je cuisinerai, ça me changera les idées, et vous me montrerez vos estampes, enfin vos bouquins ou ce que vous voulez. »
Marine lui souriait, l'air toujours aussi amusé : « je vous préviens, un homme qui cuisine pour moi, je trouve ça très très attirant ! »
Erwan esquissa enfin un sourire : « j'ai pas peur : on y va ? »
Commentaires
Tu veux tout savoir de moi ? Ou bien j'en dis trop sur mon blog et donc je ne suis pas assez confidentielle ?
Merci
Meuh non, au contraire, j'aime te découvrir un peu plus !
Pourquoi forcément quand il y a de l'alcool, c'est pour moi ? ;-)))
Ma choupette, tu t'attendais à quoi de moins pétillant :) C'est ce qui te convient le plus. Bise ma douce.
Toi tu sais comment me parler. ;-)))
*Deviner* ... alors là : [english accent] "touché"
Merci :)
Amusant de se chercher dans les mots, non ?
c'est très joli, mais c'est trèèèès long!!! (non, mais c'est bien, hein, long, aussi... plus c'est long plus c'est bon... juste, je vais revenir lire la deuxième moitié après mon 3ème café... qui se situe juste après la vaisselle... ;-))
Alors ce café ?? moi j'ai pris un thé à la framboise, accompagné d'un délicieux carré de chocolat à la violette :) Un délice !
il t'en reste? c'est dingue, ça ;-)
punaise, j'arrive même pas à penser, j'ai l'estomac en fusion (pas à cause du café), je suis crevée... je vais tenter de terminer pendant le week end (ou ce soir si je ne m'effondre pas sur le canap devant Horatio)
Jolie cette suite. J'aime bien aussi le jeu de chercher sous quelle expression ou mot tu nous linkes.
Ben je te présente Enrique, et Gregory aussi (au fait Enrique est en perdition au sondage, il a besoin de ton soutien)
Arggh je ne sais plus où donner de la tête avec cette compète de bô mâles !! Vivement les résultats !
J'aime beaucoup le "au mieux... au pire", toujours tenter, toujours.
Les chaussures : je suis émue et honorée ;) !
Pour ce qui est de tenter, tu en connais un bout :)
Merci pour le lien sous "sa veste" ;)
De rien !
J'aime les embrasures de porte, celles où tu restes des heures à la fin d'une soirée avec la personne avec qui t'avais envie de discuter, celles où des fois l'avenir se dessine, une embrasure de porte dit beaucoup de choses ...
Je suis ravie que tu le vois comme ça, c'est un peu l'idée !
J'aime beaucoup ce texte, il est très bien écrit, vraiment !
Merci pour le lien.;)
Ah, et merci d'avoir mis le poème en anglais, j'apprécie la mélodie des phrases dans cette langue.
De rien ! ravie que tout t'ai plu alors :)
Tout d'abord merci à tes lecteurs, n'ayant pas pour habitude de suivre les mots bleus (ou les autres) du bout de la souris, j'en était à vainement chercher un sens à ces couleurs. Puis vînt le temps de chercher derrière quel mot je pouvais me cacher ma vanité me soufflant que je ne pouvais pas ne pas y être. Quelle récompense ! Une phrase entière, isolée, bien en évidence, c'est mon ego qui s'est réjouit.
Pour ton intelligence et ton écriture que j'apprécie énormément, c'est beaucoup plus de quelques mètres que je te suivrait.
En plus j'ai presque l'impression d'écrire correctement à force de te lire.
Si je devais résumer, je dirais : Merci
Toi t'es trop gentil :) et c'est un plaisir de te lire aussi ! Bise.
Le sourire, ça me va plutôt bien ;)
Merci ...
j'espère qu'il y aura une suite !!!
Oui il y a une suite, je vais essayer de la publier plus vite .
Ba ma foi c'était bien sympathique tout ça!
Un bon moyen de nous faire découvrir pas mal de blogs.
Et puis "amusé" me convient très bien comme adjectif! ^^
Une fois de plus tu nous as montré tes talents d'écrivain... Chapeau bas!! ^^
Merci à toi :) et c'est aussi amusant à faire !
Je t'ai lu hier soir, trés tard.
Au delà de tous ces links, (amusant et bien sympa, un véritable exercice de style) j'espère que le lectorat aura pris le temps d'apprécier ta plume.
Je rejoins Joker dans son appréciation, et brûle d'impatience de connaitre la composition du dîner!!
Et puis, la suite surtout, tu t'en doutes!! ;-)
Merci Miss ! le dîner sera épicé je pense, bien moins sage que le début !
Oui, viens Miss Ju, rejoins moi ! J'ai bien rejoint Océane chez toi, ça va finir par faire un peu mélange tout ça! ;))
Du moment que Miss Julie fournit la vodka, tout ira bien :)
T'es inspirée toi dis donc le vendredi...
Merci ;)
De rien :)!
Ah oui, oui, le dîner, ça va se corser!!!
Oui, ça va être tendu je pense :)
cette lecture est très agréable, un peu long c'est vrai...mais je fais long aussi alors....
je te trouve mutine sur ce texte...j'atend la suite elle est bien cette Marine (et puis Marine, Océane ....!)
Très gentils tes passages chez moi çà me fait tjs un grand plaisir tu sais
je te fais un gros bisou
Merci Nanou :)
Non mais je triche moi, je regarde dans le code source de la page et je recherche mon adresse :D
Bon quand est-ce qu'il a du sesque.. ?
Parce qu'ils vont finir au pieu, non ?
Non?
C'était romantique ?
Ah merde..
très joli texte !!! pour que Manu ne se sente pas seule à attendre le " sesque" je vais réclamer la suite aussi mais c'est justeeeeee par solidarité :-)
L'échange des prénoms, c'est pas au lendemain de la première baise que ça se fait? : )
L'Amour est le don que Dieu n'a fait qu'à l'homme? mais bin sûr ! ce même Dieu qui se nourrit de guerres et qui a soif de sang et de vengeance? : )
@ Ekios: Tricheur :)!
@ Manu: et la tendresse bordel !!! Du cul la prochaine fois, ils mangent et je vois s'ils se grimpent dessus, promis !
@ Bélapozon: pareil, je réfléchis aux circonstances du grimpage :) !
@ M1: chais pas, mais moi je préfère avoir un prénom, histoire de savoir lequel hurler au moment opportun.
Pour le reste, le poème est quand même beau, non ?
Bravo, quel exploit...très intéressant et judicieux, Il fait froid, je vais mettre une petite laine, comme un pull !
Bisou et merci
N'attrape pas froid surtout !
Ceci dit l'avantage de ne pas connaitre le prénom avant le " grimpage" c'est que si tu te plantes au moment opportun ça ne crée pas un drame :-)
J'avais pas pensé à cet avantage !!!