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Clair de l'âme

 

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Cher Romain,

Permets-moi de t’appeler Romain, depuis le temps que l’on se fréquente, toi et moi, l’intimité qui s’est creusée entre nous autorise cette liberté.

Romain, quand je t’ai connu, tu me disais t’appeler Émile, et la jeune collégienne que j’étais est tombée sous le charme de ta plume. Longtemps, j’ai regardé les squelettes de parapluies abandonnés sous l’orage, en pensant à Momo et à Madame Rosa.  Tu avais déjà tracé un sillon dans mon cœur, Romain, un sillon que je suivais à pas mesurés, tout doucement. Plus que tout je voulais faire durer la promenade sur ce chemin. Tu es mort avant que je n’atteigne l’âge de raison, c’est peut-être ce qui fait de moi la lectrice la plus déraisonnable qui soit. Savoir qu’un auteur que l’on aime n’écrira plus que ce qui existe déjà, rend plus précieux chacun de ses ouvrages.

A chaque fois que j’ouvrais un de tes écrits, dès la page de garde j’étais partagée entre deux sentiments : la joie de te lire à nouveau, de te découvrir, et une certaine tristesse à penser que c’était un livre de plus qui m’amenait au bout du chemin. Ce chemin à l’issue duquel il n’y aurait plus de »nouveaux » livre de toi à lire… Mais il reste la joie aujourd’hui, des années après notre première rencontre, la joie de te redécouvrir, de te relire autrement. La lecture de mes 10 ans, de mes 15 ans, ou de mes 20 ans, m’a fait comprendre que chaque relecture offre au regard un nouveau récit. Et aujourd’hui, où l’adulte que je suis admire l’homme total que tu as été, je sais que le chemin ne se termine jamais vraiment. Tu as raison, tu es incapable de vieillir. Le Pacte que tu as passé avec le Ciel s’est étendu à toute ton œuvre.

Alors te relire reste encore ce que je préfère au monde. Je fais le bilan des choses que j’aime, et au détour d’un souvenir, je me rappelle d’une vieille anglaise au ton malicieux. Je me rappelle de Lady L.

J’ai repris la semaine dernière mon exemplaire. Le même exemplaire que j’ai ouvert pour la première fois dans ma chambre au pensionnat, avec pour toute lumière, une lampe de chevet tamisée, pour ne pas attirer les foudres de la responsable de l’étage. Je me revois déchiffrer avec émerveillement les premières pages de cette histoire. J’ai suivi Annette dans ce Paris d’un autre temps, jusqu’à sa glorieuse vie, derrière ce masque de Lady L. On en revient toujours là avec toi : les déguisements que la vie nous oblige à porter. D’autres noms, d’autres discours, d’autres agissements...  Et derrière Annette, comme derrière toi peut-être, il reste ce cynisme amer.

Mais j’ai adoré à 16 ans, et aujourd’hui, cette histoire fabuleuse de la construction d’un monde nouveau, à travers les yeux brillants d’une sorte de folie d’Armand Denis. J’ai aimé retrouver la belle histoire d’amour et de combats qui liera Armand et Annette. Voir leurs ambitions respectives se frotter à la complexité de l’Histoire avec un grand H, même fictive, c’est réjouissant ! Les amours d’un jeune anarchiste poète, poseur de bombes un peu raté, et d’une jeune pauvresse qui arrivera aux plus grands sommets, c’est le tour de force littéraire que tu  nous offres.

J’aime écouter cette vieille dame qui confie à un jeune admirateur les méandres de sa vie, ses amours, ses indignités, la beauté et la laideur d’une vie riche et tumultueuse.

L’humour, la drôlerie, le cynisme, la tendresse, et les grandes espérances de pauvres êtres humains ballotés par la folie de l’Histoire, Lady L. garde pour moi la même force qu’à la première lecture.

Cher Romain, merci pour Annette, Armand et les autres. Je te quitte pour ce jour, en te rappelant ces vers que tu prêtes à la taquinerie enthousiaste d’Armand Denis :

Ode à l’humanité,

Ah fallait-il que je vous visse,

Fallait-il que vous me plussiez

Qu’ingénument je vous le disse,

Que fièrement vous vous tussiez

 

Fallait-il que je vous aimasse,

Que vous me désespérassiez

Et que je vous idolâtrasse

Pour que vous m’assassinassiez.

 

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Lady L - par Romain Gary

Critique épistolaire pour Babelio.

Commentaires

  • Bon. Maintenant je dois le lire.

  • Bien sur que tu dois !

  • Bonjour!

    Une superbe lettre. J'ai découvert Romain Gary depuis très peu de temps et j'adore!!

    Bye

  • Merci ! Et bien contente de partager cet auteur !

  • C'est le premier Gary que j'ai lu, tard. Il n'y a pas si longtemps que je suis tombée dedans. Moi aussi, j'ai lui ai écrit une lettre à ce cher Romain.
    La tienne me touche beaucoup !

  • C'est le premier Gary que j'ai lu, tard. Il n'y a pas si longtemps que je suis tombée dedans. Moi aussi, j'ai lui ai écrit une lettre à ce cher Romain.
    La tienne me touche beaucoup !

  • Il est très inspirant, comme je disais chez toi :)

  • Belle lettre ! Je t'envie, je suis incapable de participer !
    Je ne connais pas ce roman, je le note.

  • J'espère que tu le liras alors :)

  • Comme beaucoup, je n'ai lu que "la vie devant soi". Tu me donnes envie de lire Lady L. Je mets sur ma liste !

  • C'est un joli roman, tu ne le regretteras pas !

  • oh je ne l'ai pas lu celui là, il va falloir y remédier!

  • Il faut, ça sera un joli voyage aussi :)

  • t'ecris trop bien je te jure t'es sacrement doué

  • Merci, t'es trop gentille :)

  • Cette lettre est splendide et j'ai aimé ce que j'ai lu de cet auteur ;)

  • Merci pour le compliment :)

  • C'est malin..... je vais devoir refaire une commande chez Amazon moi !!!! ;)

  • Ah oui, il va falloir :)

  • Trés bel hommage à un artiste hors du commun et particulier.
    bon dimanche et belle fêtes des méres , j'espére que tu as été gatée !

  • Merci Isa, oui ce fut une belle journée !

  • Bonjour Océane,

    Merci pour votre lettre, quel bel hommage à cet auteur si sensible et surprenant qu'est Gary.

    Vous m'avez donné envie de le relire, le plus difficile sera de choisir par lequel de ces livres recommencer ma lecture... un conseil peut être?
    Corinne

  • Merci Corinne ! Et bien c'est un auteur assez éclectique, je vous conseillerai peut-être les Racines du Ciel pour commencer, vous ne le regretterez pas ! Merci pour votre passage ici :)

  • Bonjour, fan de Romain Gary également, je suis d'accord avec toi sur bien des points.

    En revanche je me permets de souligner que l'"Ode à l'humanité ou imparfait du subjonctif" n'est pas de lui mais d'Alphonse Allais.

  • Bonjour : merci de votre précision, in ne me semble pas dire que ce poème soit de Gary, mais qu'il le prête à la taquinerie de Armand Denis :)

  • Magnifique déclaration Océane, vraiment...!

  • Merci :) elle n'a pas touché les membres du jury ^^

  • mais j'étais passée à côté de cette belle lettre !! Et je voue depuis peu (j'avoue) un amour irrépressible à Gary (j'ai Lady L. dans ma PAL+Chien Blanc+Pseudo+Au-delà de cette limite...). Je suis encore bouleversée par Clair de Femme que j'avais en LC avec Martial pour le 5 juin !! Magnifique !

  • C'est vraiment un merveilleux, fabuleux écrivain !

  • J'ai lu Les cerfs-volants de lui.
    Juste superbe !

  • Tout est superbe ! je 'invite vraiment à lire le plus possible de ses ouvrages !

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