D’emblée, la femme de la couverture est belle. Sa blondeur sage, le col roulé noir, la cigarette à la main… un sourire à peine esquissé et puis ce regard, que vise-t-il ? Vers quel horizon se porte-t-il ?
Oui, d’emblée on est séduit par cette femme, et le titre du récit, Rien ne s’oppose à la nuit, finit de l’enfermer dans un mystère éternel.
Cette femme, c’est la mère de l’auteur, une mère particulière, comme elles le sont toutes pour leurs enfants.
Delphine de Vigan brosse le portrait de sa mère, et de sa famille, remontant les souvenirs comme on remonte un fleuve, avec ce qu’ils charrient de bon et de mauvais. Ces bagages, lourds, légers, qui font le portrait intime et réel des êtres à part.
Lucile est à part. Et l'est restée jusqu'ou jour où elle a décidé de se donner la mort.
L’auteur parle de trouble bipolaire, pour décrire les failles de toute une vie. Je ne sais pas si ce diagnostic filiale est juste, peu importe. Il s’agit du regard d’une fille qui porte le souvenir de sa mère, comme un testament, comme l’exécutrice légale d’une vie bleue-noire.
Il y a des couleurs dans ce récit. Je me suis rappelé Rimbaud avec ses correspondances. Bleue-noire, comme la musique de Bashung qui donne son titre au roman. Bleue-noire comme cette palette de couleurs qui s’impose à moi quand je pense à Lucile, racontée par sa fille. Bleue-noire la vie brûlée par les deux bouts. Bleue-noire comme la culpabilité et la souffrance, et ces épisodes terribles, qu’on lit en s’accrochant aux pages, le vertige accaparant le lecteur comme au bord d’un gouffre d’incompréhension.
Il est de ces récits qui n’entendent pas se laisser résumer. Que dire ? C’est l’exposé-discussion de toute une famille, un matriarcat imposant, une fourmilière de personnalités, joyeuses et débordantes, tristes et heureuses, et au milieu se dresse, lumineuse, la figure de Lucile.
J’ai eu du mal, longtemps après sa lecture, à trouver les mots pour en parler, et je les cherche encore. Je sais juste que j’ai une tendresse immense pour ces personnes qui ne savent pas comment vivre. Et l’on peut avoir toutes les meilleures raisons du monde d’être heureux et comblés, il y a de ces failles qui ne s’expliquent pas comme on le voudrait. Il est de ces failles qui font la beauté et la sensibilité des gens les plus intéressants. Mais qui font aussi leur malheur, ainsi que celui de leur entourage.
J’ai de l’indulgence pour ces failles, qui sont la marque des gens incapables de vivre dans ce monde sans ressentir l’inexplicable poids de toutes les misères humaines. Il n’st pire souffrance que celle qui ne trouvent pas de source rationnelle aux yeux des autres. Comprendre Lucile est la quête de l’auteur, comprendre et se pardonner, lui pardonner peut-être.
Lire ce récit m’a heurtée, parce que je me suis reconnue, toutes proportions gardées, dans quelques traits de Lucile. Cette incapacité à vivre, ces brusques bouffées d’espérances et de folie, avant de mieux sombrer, autant de raison de lui porter la même indulgence que j’ai à mon égard.
La différence, c’est peut-être que j’essaie de changer deux ou trois petites choses, pour ne pas laisser le galion sombrer totalement.
Un récit d’amour pour la Mère, comme la littérature nous en offre quelquefois.
Livre lu dans le cadre du Match de la rentrée Littéraire, initié par Priceminister.
Commentaires
Tu en parles très bien, ça me donne envie de plonger dedans. Merci!
Plonge alors :)
Faut absolument que je le lise, tu viens de finir de m'en convaincre!!
J'espère :)
J'ai découvert Delphine de Vigan avec No et moi et suis en train de lire Rien ne s'oppose à la nuit.
J'aime beaucoup la sensibilité de cet auteur , assez proche de la mienne, son regard sur sa vie ou la société qui nous entoure.
Bref, un gros coup de coeur pour moi !
Un bien joli coup de coeur !
finalement tu trouve bien les mots, une jolie plume que tu as
Merci à toi :)
J'attends tranquillement qu'il refasse surface à la bibli, rien ne presse, finalement...
Tu n'es pas tentée ?
On est synchro, je viens de publier ma critique également ;o)
Comme tu le verras peut-être, je ne suis pas d'accord avec tout ce que tu dis, mais c'est normal qu'un tel livre soit perçu de différentes façons... Bonne journée Océane!
Oui, la multiplicité des regards, c'est aussi une richesse !
l'ouvrage me tentait. Je vais donc franchir le pas.
Une belle lecture, tu verras !
Je n'avais pas aimé le précédent bouquin de Delphine de Vigan, mais celui-ci m'a bouleversé profondément. Je l'ai trouvé juste, tendre et j'ai aimé cette alternance des chapitres avec d'un côté ceux qui nous racontent l'histoire familiale et de l'autre ceux dans lesquels l'auteur explique sa démarche. Un roman bouleversant en effet!
Il est très bouleversant !
En fait, je n'aime pas cet auteur et depuis je ne lis aucun de ses livres... C'est peut-être un tort mais elle fait un trop dans la sensiblerie...
Je t'assure que celui-ci fait moins dans la facilité et la sensiblerie !
un livre qui semble plein de sensibilité et que tu donnes envie d elire
Il est vraiment très bien :)
Ce livre me faisait un peu peur par l'excès de sensiblerie dont il semble déborder mais je n'ai pas encore lu un avis négatif et ton billet (très beau) me donne vraiment envie de le lire ! Dès qu'il passera à ma portée... :)
Il n'y a pas de sensiblerie, je t'assure :)
J'ai déjà écrit tout le bien que j'en pensais, ce livre ne quittera pas les étagères de ma bibliothèque contrairement à d'autres.
Pareil pour moi !
J'avais lu un de ses premiers romans "les jolis garçons" qui est une série de 3 histoires sentimentales. J'étais un peu resté sur ma faim car je trouvais que la trame des histoires était légère mais j'avais apprécié la façon dont elle écrivait.
Je ne pensais pas relire un de ses romans quand on m'avait jeté à la figure que c'était une écrivain pour fille.
Son succès et ce que tu as écrit va me replonger dans ses romans.
Elle est un peu plus qu'un écrivain pour filles, heureusement :)
je ne sais pas si je pourrais le lire car j'ai vécu la même chose et je n'arrive pas à en parler. tabou, douleureux, encore non compris, accepté. Un livre qui je pense me rendrait "noire" pendant un moment mais qui aide à comprendre et ressentir qu'on est humain et pas toute seule. Bises Océane et merci pour ce bel article.
je peux comprendre tes craintes. J'ai moi-même été assez bouleversée, mais c'est le risque à prendre.
Tu es la première qui sembles si touchée par des similitudes avec l'héroine. Ton billet est très émouvant. Je pense que je le lirai, ton avis renforce mon intérêt. Bonne soirée
J'espère lire ta chronique alors :)
J'ai Bashung dans la tête maintenant :)
C'est une belle chanson ^^
ça va être un peu redondant mais j'ai été émue par ta manière de parler de ce livre, dont la couverture n'en finit pas de m'intriguer... je vais le lire, c'est sûr
J'espère qu'il te plaira alors :)
Très bel article Océane, vraiment ! Je suis d'autant plus ravie d'avoir craqué il y a quelques jours et de l'avoir acheté... J'ai hâte !
Et moi j'ai hâte de lire ton billet !
J'ai été bouleversée, remplie d'émotions ( attention ne pas secouer). J'y ai retrouvé des marques de ma famille ( pas les souvenirs joyeux) mais aussi parce que ce livre mêle avec sensibilité et intelligence l'histoire familiale et le travail d'écriture.
J'ai longtemps porté cette histoire en moi.