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états-unis

  • Americanah - Chimamanda Ngozi Adichie

    L’observation des autres est souvent plus efficace que l’observation de soi-même : en tout cas en ce qui me concerne. J’adore regarder les autres, les passants inconnus autant que mes amis ou relations. Je regarde et j’imagine, j’extrapole, je déduis et parfois je comprends beaucoup de choses : sur moi-même. Lire, c’est un peu comme observer un autre de papier, non ?

    L’an dernier j’ai lu Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, j’ai observé son héroïne Ifemulu, et j’ai compris quelques petites choses sur moi. Miracle de mon nombrilisme.

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    Ifemulu est une jeune nigériane qui part étudier aux Etats-Unis. Arrivée là-bas, elle se découvre noire, par le regard des autres et par la situation des Noirs Américains. De jeune fille de bonne famille, étudiante, ambitieuse, intelligente, elle devient « noire », comme un particularisme qui servirait à la définir tout entière. C’est cette redécouverte de sa race dans les yeux des autres qui est au centre du roman. Ifemulu ouvre un blog, pour partager ses observations de la vie américaine, du racisme, et des relations sociales. Comme un pied de nez à la vie, ce blog fera sa réputation et la conduira à tenir des conférences sur ces thèmes. Le lecteur, lui, observera la vie amoureuse et professionnelle d’Ifemulu évoluer, et se heurter aux préjugés raciaux, aux difficultés qu’engendre le fait d’être noir aux États-Unis. De la plus simple, à la plus grave. Ainsi, le livre s’ouvre dans un premier chapitre sur une scène dans un salon de coiffure pour cheveux afro, « dans cette partie de la ville pleine de graffitis, de bâtiments insalubres, sans un seul Blanc à l’horizon, ».  Car c’est là qu’on exile l’africanité, et si une intellectuelle noire habitant à Princeton souhaite se faire tresser les cheveux, elle doit suivre le ban.

    Être noir à Lagos et à Princeton c’est différent. Cette différence se chiffre par le nombre de rejets, d’exclusions, de sourires entendus, et de réflexions paternalistes quand elles ne sont pas ouvertement racistes.

    Pour autant, pas d’atermoiements dans le roman de Chimamanda Ngozi Adichie, pas de sanglots, juste une fine observation factuelle, un recensement de la réalité de la peau noire, la liste des conséquences sur chaque instant de la vie, même le plus intime.

    Cette observation dont Ifemulu est le point central, m’a forcément ramenée à moi, et à ma vie en France. À cette chose que peu de gens comprennent s’ils ne la vivent pas dans leur chair : le regard de l’autre qui fait de vous un étranger quoi qu’il arrive. J’ai souvent du mal à expliquer cela : je n’ai jamais vraiment souffert d’un racisme violent, au sens où je n’ai pas subit de « sale arabe », ou de « rentre chez toi » mais j’ai toujours eu droit à des remarques paternalistes, ou réductrices, dès lors que j’indiquais mon prénom. Des phrases comme « ça n’a pas été trop dur pour toi de poursuivre tes études ? » (Trop dur pourquoi ? parce que je suis censée venir d’une famille où on empêche les femmes d’étudier et où on les voile de force ? parce que génétiquement je serais vouée à l’illettrisme ?) Des phrases comme « Et tu rentres chez toi souvent ? » Quand je réponds oui, c’est à trois stations de métro, je comprends bien que mon interlocuteur situe mon « vrai » chez moi au-delà de la méditerranée et non sur la ligne du métro parisien.

    Le racisme n’est pas forcément un coup de poing dans la face, il peut être un mot anodin, une question toute simple mais qui en dit long sur ce que l’Autre juge que l’on doit être : un éternel étranger, illégitime à vie.

    La lecture de Americanah m’a renvoyé à ma propre situation et à la façon dont je la gérais. Une des raisons pour laquelle ce livre m’a bouleversée.

    L’histoire d’Obinze, ancien amoureux d’Ifemulu, qui lui est arrivé à Londres, dans des conditions bien plus difficiles, est aussi passionnante à suivre. Les deux trajectoires des anciens amants finiront par se croiser à nouveau, chacun arrivant avec ses bagages et ses choix. L’histoire d’Ifemilu est aussi une belle observation d’un féministe quotidien, réel et vécu en prise avec un patriarcat aux habits multiples.

    Je vous reparle de ce livre lu l’an dernier, parce que je l’avais beaucoup aimé à l’époque, que je n’avais pas eu le temps de le chroniquer, mais qu’il n’a guère quitté mon esprit. Et le fait est qu’il sort en poche ces jours-ci, alors n’hésitez pas à vous l’offrir ! Pour ma part, je l’avais emprunté à la bibli dès la sortie, et j’attendais le format poche avec hâte pour l’avoir chez moi (appartement parisien oblige, je privilégie toujours les formats poche..)

    Bref, si vous ne l’avez pas encore lu, je vous y engage. Quelle que soit votre situation, vous y trouverez matière à réflexion.

    Extraits:

     « Ifemelu avait grandi dans l’ombre des cheveux de sa mère. Ils étaient noir-noir, si abondants qu’ils absorbaient deux flacons de démêlant quand on la coiffait, si épais qu’il leur fallait rester des heures entières sous le casque du séchoir, et quand enfin libérés des bigoudis de plastique rose ils s’échappaient en une masse libre et volumineuse, ils se répandaient jusqu’en bas de son dos comme une fête. Son père les appelait sa couronne de gloire. « Est-ce que ce sont de vrais cheveux ? » demandaient des inconnus qui tendaient la main pour les toucher avec respect. D’autres disaient : « Êtes-vous de la Jamaïque ? » comme si seul un sang étranger pouvait expliquer une chevelure aussi opulente qui ne s’éclaircissait pas aux tempes. Enfant, Ifemelu se regardait souvent dans la glace et tirait sur ses cheveux, les déroulait, souhaitant désespérément qu’ils deviennent semblables à ceux de sa mère, mais ils demeuraient rêches et poussaient difficilement ; les coiffeuses disaient qu’ils étaient coupants comme des couteaux. »

    « Si vous dites que la race n’a jamais été un problème, c’est uniquement parce que vous souhaitez qu’il n’y ait pas de problème. Moi-même je ne me sentais pas noire, je ne suis devenue noire qu’en arrivant en Amérique. Quand vous êtes noire en Amérique et que vous tombez amoureuse d’un Blanc, la race ne compte pas tant que vous êtes seuls car il s’agit seulement de vous et de celui que vous aimez. Mais dès l’instant où vous mettez le pied dehors, la race compte. Seulement nous n’en parlons pas. Nous ne mentionnons même pas devant nos partenaires blancs les petites choses qui nous choquent et ce que nous voudrions qu’ils comprennent mieux, parce que nous craignons qu’ils jugent notre réaction exagérée ou nous trouvent trop sensibles. Et nous ne voulons pas les entendre dire : Regarde le chemin que nous avons parcouru, il y a seulement quarante ans nous n’aurions pu former un couple légal, bla-bla-bla, parce que savez-vous ce que nous pensons quand ils disent ça ? Nous pensons mais putain pourquoi cela aurait-il dû être illégal de toute façon ? Mais nous nous taisons. Nous laissons tout ça s’accumuler dans nos têtes et, quand nous assistons à de sympathiques dîners progressistes comme celui-ci, nous disons que la race n’est pas un problème parce que c’est ce que nous sommes censés dire, pour que nos sympathiques amis progressistes ne soient pas perturbés. C’est la vérité, je parle d’expérience. »

  • Pourquoi lire Dan Fante (indice : parce que c'est beau) Avent Littéraire #1

    À l’occasion de cette reprise d’écriture sur le blog, j’avais envie de partager avec vous des lectures, de cet été, puis de l’automne, et puis s’est imposé l’idée de simplement partager chaque jour de l’Avent un auteur que j’apprécie particulièrement.

    La semaine dernière, Dan Fante nous a quitté, au terme d’une vie entre lumière et bas-fonds. J’aime les auteurs qui écrivent avec leur sang, si j’ose cette métaphore un peu bas de gamme. Mais le fait est que les mots de Dan Fante nous plongent dans un univers de misère, d’alcool, de fuites et d’errances lunatiques. Dan Fante s’est placé sous le parrainage de trois grands auteurs : son père John Fante, Hubert Selby Jr et Charles Bukowski. J’ai souvent mis en parallèle Selby et Dan Fante, dans mon paradis personnel, tant ils me renvoient chacun une image à la fois solaire et violemment sombre de l’Amérique.

    J’arrête là les comparaisons oiseuses, le plus important c’est de lire, n’est-ce pas ?

    Alors pour cette première case d’Avent littéraire, j’aimerai relire avec vous ces quelques vers de Dan Fante :

     

    Pendant des années
    j'ai versé du bourbon dans ma tête
    pour tuer les voix

    Mais vint le temps où j'ai dû lâcher la gnôle
    ou rendre mon passeport

    Des jours ca allait si mal
    que je devais remballer mes affaires dès le matin
    dire que j'étais malade
    et quitter mon poste de télé-vendeur
    trente secondes avant de tuer quelqu'un

    Je passais prendre deux Big Mac et louer deux pornos
    je rentrais
    tirais les rideaux
    et me branlais dans du steak haché
    pour étouffer le bruit

    Il me fallait des heures de télé et des romans de 800 pages sans
    répondre au téléphone
    pendant des jours
    sans me raser ni laver une assiette
    ni changer de slip
    juste pour garde la tête hors de l'eau

    Aujourd'hui
    je vais mieux

    j'ai changé pour Burger King

     

             

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    A la fin il y en a marre
    d'expliquer

    les gens te voient comme tu es ou pas

    pourquoi se crever à décrire le brouillard sur Venice
    ou la passion des sublimes Chevrolet 1957
    -ça intéresse qui?-
    soit tu es branché brouillard et Chevrolet soit pas

    Pour moi, la magie tient à la vie elle-même
    au cadeau immérité
    d'être ici présent
    de foncer tête baissée contre les murs
    ou assis dans un fauteuil à m'extasier sur l'origine du souffle

    La vie est improvisation - du théâtre - avec billet de faveur -
    imprévisible
    horrible
    grotesque
    absurde
    brutale
    précieuse
    et
    romantique

    une aventure

    Je sais que je ne vaux pas cher - mais je suis ce que je pense

     

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    (Tatouage de Dan Fante en hommage à son frère)

    Les Poèmes et récits de Dan Fante sont disponibles en poche chez Point et 10/18.

    À demain pour la suite.