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  • Christophe, le gentleman de la nuit tombée - Les Vestiges du Chaos

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    Milan Kundera disait, je ne sais plus où, que la musique est une pompe à gonfler l’âme. Mots de sagesse et d’amour envers quelque chose qui fait tant, tant de bien. Est-ce pour ça qu’à chaque fois qu’un chanteur aimé nous quitte, je pleure ? Certainement. À leur mort, je sais que je perds quelques futurs instants de bonheur. Mais la musique à ceci de magique, qu’elle existe pour toujours, dès lors qu’elle est sortie de l’imagination de quelqu’un.

    Le magicien dont j’aimerai parler aujourd’hui, c’est Christophe, le dernier des Bevilacqua, au travers de son nouvel album, Les Vestiges du Chaos. Autant vous dire que ça faisait longtemps que je ne m’étais pas précipité acheter un CD dans une boutique en vrai de vrai.

    Écouter un album de Christophe, c’est toujours un voyage extraordinaire, le portrait d’un monde à part : l’univers d’un homme fou de musique, et fou des femmes. Ses chansons me font souvent penser à l’œuvre d’un peintre, qui dessine un paysage, à la manière impressionniste, ou pointilliste, selon les sentiments qu’il veut nous faire vivre.

    Christophe, c’est le gentleman de la nuit tombée, l’homme qui murmure à mon âme.  D’album en album il cisèle une poésie bien à lui. Mais il n’est jamais meilleur qu’en concert. Il faut assister à un concert de Christophe pour comprendre quel artiste il est : un artisan du son, un magicien des mots. Même quand il les murmure dans un souffle, ses mots atteignent leur cible.

    Ce nouvel album, je l’ai acheté très vite, mais paradoxalement j’ai mis quelques jours avant de l’écouter : la peur d’être déçue (oui je suis folle). Mais point de déception, juste un nouveau et fabuleux voyage sonore et poétique. Un océan d’amour, comme le postule une des chansons, vient vous bercer. Encore une fois son amour des femmes transparait à chaque note. D’ailleurs pas mal de femmes ont contribué à façonner les différents titres. Peut-on nier avec quel talent Christophe se renouvelle sans cesse ? Bon, je suis un peu amoureuse de sa musique certes, mais comment ne pas l’être ? Je partage avec Christophe cet attrait pour la nuit (j’ai tendance à vivre à l’envers quand je peux, pas souvent hélas…) et sa musique accompagne pas mal de mes nuits blanche, elle est inspirante et se faufile dans mon âme, pour la regonfler, exactement comme dit Milan Kundera.

  • Americanah - Chimamanda Ngozi Adichie

    L’observation des autres est souvent plus efficace que l’observation de soi-même : en tout cas en ce qui me concerne. J’adore regarder les autres, les passants inconnus autant que mes amis ou relations. Je regarde et j’imagine, j’extrapole, je déduis et parfois je comprends beaucoup de choses : sur moi-même. Lire, c’est un peu comme observer un autre de papier, non ?

    L’an dernier j’ai lu Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, j’ai observé son héroïne Ifemulu, et j’ai compris quelques petites choses sur moi. Miracle de mon nombrilisme.

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    Ifemulu est une jeune nigériane qui part étudier aux Etats-Unis. Arrivée là-bas, elle se découvre noire, par le regard des autres et par la situation des Noirs Américains. De jeune fille de bonne famille, étudiante, ambitieuse, intelligente, elle devient « noire », comme un particularisme qui servirait à la définir tout entière. C’est cette redécouverte de sa race dans les yeux des autres qui est au centre du roman. Ifemulu ouvre un blog, pour partager ses observations de la vie américaine, du racisme, et des relations sociales. Comme un pied de nez à la vie, ce blog fera sa réputation et la conduira à tenir des conférences sur ces thèmes. Le lecteur, lui, observera la vie amoureuse et professionnelle d’Ifemulu évoluer, et se heurter aux préjugés raciaux, aux difficultés qu’engendre le fait d’être noir aux États-Unis. De la plus simple, à la plus grave. Ainsi, le livre s’ouvre dans un premier chapitre sur une scène dans un salon de coiffure pour cheveux afro, « dans cette partie de la ville pleine de graffitis, de bâtiments insalubres, sans un seul Blanc à l’horizon, ».  Car c’est là qu’on exile l’africanité, et si une intellectuelle noire habitant à Princeton souhaite se faire tresser les cheveux, elle doit suivre le ban.

    Être noir à Lagos et à Princeton c’est différent. Cette différence se chiffre par le nombre de rejets, d’exclusions, de sourires entendus, et de réflexions paternalistes quand elles ne sont pas ouvertement racistes.

    Pour autant, pas d’atermoiements dans le roman de Chimamanda Ngozi Adichie, pas de sanglots, juste une fine observation factuelle, un recensement de la réalité de la peau noire, la liste des conséquences sur chaque instant de la vie, même le plus intime.

    Cette observation dont Ifemulu est le point central, m’a forcément ramenée à moi, et à ma vie en France. À cette chose que peu de gens comprennent s’ils ne la vivent pas dans leur chair : le regard de l’autre qui fait de vous un étranger quoi qu’il arrive. J’ai souvent du mal à expliquer cela : je n’ai jamais vraiment souffert d’un racisme violent, au sens où je n’ai pas subit de « sale arabe », ou de « rentre chez toi » mais j’ai toujours eu droit à des remarques paternalistes, ou réductrices, dès lors que j’indiquais mon prénom. Des phrases comme « ça n’a pas été trop dur pour toi de poursuivre tes études ? » (Trop dur pourquoi ? parce que je suis censée venir d’une famille où on empêche les femmes d’étudier et où on les voile de force ? parce que génétiquement je serais vouée à l’illettrisme ?) Des phrases comme « Et tu rentres chez toi souvent ? » Quand je réponds oui, c’est à trois stations de métro, je comprends bien que mon interlocuteur situe mon « vrai » chez moi au-delà de la méditerranée et non sur la ligne du métro parisien.

    Le racisme n’est pas forcément un coup de poing dans la face, il peut être un mot anodin, une question toute simple mais qui en dit long sur ce que l’Autre juge que l’on doit être : un éternel étranger, illégitime à vie.

    La lecture de Americanah m’a renvoyé à ma propre situation et à la façon dont je la gérais. Une des raisons pour laquelle ce livre m’a bouleversée.

    L’histoire d’Obinze, ancien amoureux d’Ifemulu, qui lui est arrivé à Londres, dans des conditions bien plus difficiles, est aussi passionnante à suivre. Les deux trajectoires des anciens amants finiront par se croiser à nouveau, chacun arrivant avec ses bagages et ses choix. L’histoire d’Ifemilu est aussi une belle observation d’un féministe quotidien, réel et vécu en prise avec un patriarcat aux habits multiples.

    Je vous reparle de ce livre lu l’an dernier, parce que je l’avais beaucoup aimé à l’époque, que je n’avais pas eu le temps de le chroniquer, mais qu’il n’a guère quitté mon esprit. Et le fait est qu’il sort en poche ces jours-ci, alors n’hésitez pas à vous l’offrir ! Pour ma part, je l’avais emprunté à la bibli dès la sortie, et j’attendais le format poche avec hâte pour l’avoir chez moi (appartement parisien oblige, je privilégie toujours les formats poche..)

    Bref, si vous ne l’avez pas encore lu, je vous y engage. Quelle que soit votre situation, vous y trouverez matière à réflexion.

    Extraits:

     « Ifemelu avait grandi dans l’ombre des cheveux de sa mère. Ils étaient noir-noir, si abondants qu’ils absorbaient deux flacons de démêlant quand on la coiffait, si épais qu’il leur fallait rester des heures entières sous le casque du séchoir, et quand enfin libérés des bigoudis de plastique rose ils s’échappaient en une masse libre et volumineuse, ils se répandaient jusqu’en bas de son dos comme une fête. Son père les appelait sa couronne de gloire. « Est-ce que ce sont de vrais cheveux ? » demandaient des inconnus qui tendaient la main pour les toucher avec respect. D’autres disaient : « Êtes-vous de la Jamaïque ? » comme si seul un sang étranger pouvait expliquer une chevelure aussi opulente qui ne s’éclaircissait pas aux tempes. Enfant, Ifemelu se regardait souvent dans la glace et tirait sur ses cheveux, les déroulait, souhaitant désespérément qu’ils deviennent semblables à ceux de sa mère, mais ils demeuraient rêches et poussaient difficilement ; les coiffeuses disaient qu’ils étaient coupants comme des couteaux. »

    « Si vous dites que la race n’a jamais été un problème, c’est uniquement parce que vous souhaitez qu’il n’y ait pas de problème. Moi-même je ne me sentais pas noire, je ne suis devenue noire qu’en arrivant en Amérique. Quand vous êtes noire en Amérique et que vous tombez amoureuse d’un Blanc, la race ne compte pas tant que vous êtes seuls car il s’agit seulement de vous et de celui que vous aimez. Mais dès l’instant où vous mettez le pied dehors, la race compte. Seulement nous n’en parlons pas. Nous ne mentionnons même pas devant nos partenaires blancs les petites choses qui nous choquent et ce que nous voudrions qu’ils comprennent mieux, parce que nous craignons qu’ils jugent notre réaction exagérée ou nous trouvent trop sensibles. Et nous ne voulons pas les entendre dire : Regarde le chemin que nous avons parcouru, il y a seulement quarante ans nous n’aurions pu former un couple légal, bla-bla-bla, parce que savez-vous ce que nous pensons quand ils disent ça ? Nous pensons mais putain pourquoi cela aurait-il dû être illégal de toute façon ? Mais nous nous taisons. Nous laissons tout ça s’accumuler dans nos têtes et, quand nous assistons à de sympathiques dîners progressistes comme celui-ci, nous disons que la race n’est pas un problème parce que c’est ce que nous sommes censés dire, pour que nos sympathiques amis progressistes ne soient pas perturbés. C’est la vérité, je parle d’expérience. »

  • Les gens qui doutent

    Je porte le doute en moi comme personne. Ou comme n’importe qui peut-être. Je doute presque en permanence, de tout, de moi, des autres. Celui-là qui dit m’aimer, est-ce réel ou un mensonge dont il n’a pas encore conscience ? Ce compliment qu’on me fait, est-il sincère ou de pure forme ? Et mes capacités, mes talents, mes compétences : est-ce que tout cela existe réellement, ou ne suis-je bonne à rien, juste parfois habile à bénéficier du hasard.

    J’aime les gens qui doutent, comme dit la chanson, cette fragilité les rend précieux à mes yeux : elle est le signe de quelque chose de doux en eux, d’aimable et de bienveillant.

    Je déteste le doute qui m’envahit et prend presque le contrôle de ma vie. Douter, c’est se poser mille questions avant même d’agir, c’est se remettre perpétuellement en question, en cause même, et ne jamais oser pousser de porte.

    Je ne sais pas pourquoi je doute en permanence, alors que dans le fond je m’adore, je m’aime énormément, et je crois savoir ce que je vaux. Mais paradoxalement, je vis comme si cette certitude ne valait que pour moi, et que pour ce qui est de ma place dans le monde, c’était une autre paire de manches.

    Tout cela n’est pas bien grave, si ce n’est que c’est épuisant de douter. Qu’on s’oblige à plus de circonvolutions pour atteindre les buts les plus simples, souvent pour échouer. Enfin, « on » non… « Je » serait le terme plus honnête. Je me pose trop de questions tout le temps sur tout, et c’est épuisant. C’est une curieuse torture que je m’inflige, alors que je pourrais m’en passer. « Pourquoi ne m’a-t-elle pas invitée à sa soirée, alors que c’est mon amie ? Parce que ce n’est pas ton amie en réalité. Mais alors pourquoi l’affirme-t-elle ? » Etc.

    Parfois, j’aimerais juste arrêter de penser, et agir sans jauger les mille interprétations possibles à un acte. Ou accepter un compliment, une remarque, même négative, un mot, sans y engouffrer toute la douleur du monde. J’aimerai sortir de ma zone de confort sans ressentir la peur, les tremblements, le souffle coupé, alors que tout pourrait bien se passer.

    Je cherche un mode d’emploi à la vie depuis l’enfance. À force de chercher le mode d’emploi, on oublie de vivre.

    Enfin, « On ».