Cela fait longtemps que je remets d’écrire ici ou ailleurs, parce que je suis prise par autre chose, qui m’empêche d’agir, ou simplement d’écrire.
J’ai du chagrin en permanence.
Comment le dire, comment l’expliquer, comment ne pas l’expliquer. Pourquoi en parler, c’est comme ça, j’ai du chagrin en permanence.
Tu connais Ellinor, dans Raisons et Sentiments, de Jane Austen ? Je l’ai toujours aimé, j’ai même de la tendresse pour elle, parce qu’Ellinor, elle ferme sa gueule, alors qu’elle aurait tant à dire, tant à pleurer et réclamer. Mais Ellinor c’est le genre de grande fille qui souffre intérieurement, qui ferme sa gueule, qui est toujours là pour les autres et qui affiche un joli sourire, parce qu’elle est polie.
Je ne suis pas autant polie qu’Ellinor, et il m’arrive de chouiner, de former ce qui s’apparente plus à des rictus qu’à des sourires, mais je crois que je sais rester constamment gentille, affable, de bonne humeur (limite comique vous diraient mes collègues) et serviable.
Passé ce petit jetage de fleurs, j’en reviens au même point : j’ai du chagrin en permanence.
Je vis avec un cadavre depuis presque quatre ans. Le cadavre d’un enfant que je n’ai pas eu le temps de connaître, si on excepte les huit mois et quelques de grossesse.
C’est magique, il y a des gens que l’on aime, que l’on plaint, que l’on soutient dans les moments difficiles sans qu’ils n’aient à en formuler le besoin. Et c’est bien.
Et puis il y a moi.
Moi, qui ai attendu quelques semaines un coup de fil amical, la visite de ma mère, ou de ma belle-mère, ou d’une amie, n’importe laquelle, pour m’aider passer le cap, le deuil de l’enfant.
Moi qui attends encore d’être prise dans les bras par n’importe qui, un parent, un ami, et me soulager du poids de cette perte, pleurer un peu, juste dire à quel point ça fait mal, à quel point je me sens vide et mal.
Mais rien. Tout juste si on ne m’a pas envié le long arrêt maladie qui s’en est suivie, sur le mode « tiens, t’as pas encore repris le boulot, quand même ! ».
Comment dire…
Pas un mot, pas un signe, pas une visite.
J’avais qu’à réclamer. Certes. Et je suis folle, je compare, je me mets à noter que tiens, avec X qui a perdu un fœtus de trois mois un peu après moi, on est tellement plus empressé, on me somme même de compatir et de comprendre. Et je comprends, oui. Je comprends qu’il y a un problème.
Quand tout le monde réagit de la même manière avec une personne, on a tendance à penser que le problème ne vient pas d’eux, mais de la personne dénominateur commun. En l’occurrence, moi.
Il y a comme un mur invisible autour de moi, un mur que je dois dresser certainement ? Je n’en sais rien. Enfin, je sais ce que je porte dans mon cœur, je crois connaitre mes défauts, mes qualités. Souvent pour me rassurer, je me répète que je suis gentille, polie, que je fais des compliments sincères, que je n’aime pas dire de mal, ni faire de mal. Tout cela ne suffit visiblement pas à être aimé, aimable, appréciable.
Je reste bloquée, craintive, et finalement trop méfiante des autres. Ai-je tort ? Certainement. Mais c’est difficile de sortir de ce schéma maintenant que j’y ai bien réfléchi, que j’ai intégré le fonctionnement des « autres » par rapport à moi.
Je les évite. Les rares fois où cela n’est pas possible, cela ravive ma souffrance.
Je ne sais plus parler de moi, j’aime encore écouter les autres et les aider, mais je ne suscite pas la même chose en face, c’est comme ça. Ce n’est pas si grave, on s’y fait. On se fait à tout.
On n’aime pas les gens tristes, et moi j’ai de plus en plus de mal à le cacher, que je suis souvent triste. A force de l’être on ne sait plus pourquoi on l’est, cela devient la normalité, un mode de vie.
Je sais que je suis triste d’avoir perdue ma joie mon bébé.
Je suis triste d’avoir été seule avec cette souffrance.
Je suis triste de donner cette impression constante de « elle peut se débrouiller, elle retombe toujours sur ses pattes », quand je voudrais juste poser ma valise et dormir.
Je suis triste d’être acrimonieuse et méfiante.
Je suis triste de ne pas arriver à oublier.
Je suis triste de ne pas arriver à passer à autre chose.
Je suis triste de ne plus exister vraiment.
Je crois que j’avais besoin de dire tout ça à quelqu’un, à personne, à tout le monde. C’est aussi pour dire qu’en fin de compte, ce n’est pas grave, puisque c’est comme ça, faisons avec.
Dire ces choses là éloigne les gens, ou leur fait peur.
J’aimerais que certaine choses changent.
Suffit-il de l’espérer ?