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  • E. E. Cummings Erotiques - Avent littéraire #15

    Les textes érotiques sont à la mode, et font le bonheur financier du monde de l’édition. Enfin, quand je dis textes érotiques, je devrais plutôt parler de touche-pipi et d’érotisme en carton dans la lignée des Cinquante Nuances de billets de banque. Il existe de superbes récits érotiques et pornographiques, mais ce n’est pas forcément ce qui se vend le plus. Mais de tout ça, on reparlera un jour… Ce soir, j’avais juste envie de partager avec vous un des poèmes érotiques de Cummings. (Qui n’est pas QUE le poète de I Carry Your Heart With Me, du film In Her Shoes…)

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    Pour cette première fois sur le thème de l’érotisme en poésie, j’ai choisi quelque chose de très doux, de subtile et qui joue sur le symbolique. J’espère que cette suite de l’Avent littéraire vous plaira.

     

    Poème 24

    ma dame est un jardin d’ivoire,
    couvert de fleurs.

    sous la grande et silencieuse éclosion
    de couleurs subtiles que sont ses cheveux
    son oreille est une fleur frêle et mystérieuse
    des narines
    sont de timides exquises
    fleurs qui habilement remuent
    à la moindre caresse d’air qu’elle respire, ses
    yeux sa bouche sont trois fleurs. Ma dame

    est un jardin d’ivoire
    ses épaules sont de lisses et brillantes
    fleurs
    sous lesquelles percent les fleurs nouvelles
    de ses petits seins se balançant avec amour
    sa main forme cinq fleurs
    sur son ventre blanc est une maligne fleur en forme de rêve
    et ses poignets sont les plus pures plus merveilleuses fleurs ma
    dame est couverte
    de fleurs
    ses pieds sont effilés
    formés chacun de cinq fleurs sa cheville
    est une minuscule fleur
    les genoux de ma dame sont deux fleurs
    Ses cuisses sont de vastes et fermes fleurs de nuit
    et exactement entre
    elles endormie intensément
    est

    la fleur soudaine d’une totale satisfaction

    ma dame couverte de fleurs
    est un jardin d’ivoire.

    Et la lune est un jeune homme

    que je vois régulièrement, autour du crépuscule,
    entrer dans le jardin et sourire
    en lui-même.

     

     

    J'aime aussi énormément le suivant :

     

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    À demain !

  • Lope de Vega, Soliloques Amoureux d'une Âme à Dieu - Avent littéraire #14

    Ce soir, un Grand d’Espagne ! Non pas un roi, ni un empereur, mieux que ça : un écrivain. Lope de Vega n’est pas le plus connu des auteurs espagnols et c’est dommage. Si un jour l’occasion vous est donnée, offrez-vous la lecture de ses pièces de théâtre, il n’y a pas beaucoup de traduction disponible, mais l’effort de recherche sera amplement récompensé. Pour ma part, je remercie le réseau des médiathèques de ma ville, qui possède un bel éventail des œuvres de Lope de Vega !

    Lope de Vega a révolutionné le monde des Lettres en Espagne, et a laissé une œuvre foisonnante. Aujourd’hui, je m’intéresse à quelques uns de ses poèmes, intitulés Soliloques Amoureux d’une Âme à Dieu. La vie de Lope de Vega est digne d’un roman : une vie amoureuse rocambolesque, quelques passages dans l’Invincible Armada, une carrière en dent de scie, et des épreuves qui l’amènent à une crise mystique qui remettra bien des choses en causes.

    Loe de Vega, soliloques amoureux d'une âme à Dieu, éditions Allia, poésie, poème, Dieu, Christianisme, Noël, Avent

    Ce recours à Dieu est magnifiquement mis en vers dans les Soliloques. Lope de Vega s’adresse au Seigneur comme à une femme aimée. Dans ces poèmes il s’agit d’amour infini, de pardon, de rédemption et d’angoisses à apaiser.

    On découvre un auteur emprunt de mélancolie, quant à ses erreurs passées, et qui cherche le réconfort du Pardon. Pour autant, il ne s’agit pas simplement de négocier une remise sur péché, loin de là. La beauté profonde de ses soliloques réside dans sa nature profonde : une vraie déclaration d’amour à Dieu.

    En ce temps d’Avent, il ne m’est pas apparu superflu de proposer cette lecture :) Voici donc un extrait du Soliloque IV :

     

    De mon insouciance, Seigneur,

    Vous vous souciez, m’a-t-on dit.

    Si j’ai soucié Dieu ainsi,

    Pourquoi n’est-il pas dans mon cœur ?

     

    Et moi qui pensais Vous aimer,

    Par mon amour, tout simplement,

    Avec un tel comportement,

    J’étais bien loin d’y arriver.

     

    À quoi servent mes mots d’amour

    Tant sont nombreuses mes erreurs ?

    Les actes sont amour, Seigneur,

    Et non pas tous les beaux discours.

     

    Oh, Seigneur, mais quand donc serai-je

    Tel que Vous voulez que je sois ?

    Puisque Vous m’aimez et moi pas,

    De Vous et de moi que dirai-je

     

    De Vous je dis : Vous êtes Dieu,

    De moi que je ne suis pas homme,

    Car il ne se peut que l’on nomme

    Ainsi qui ne Vous connaît mieux.

     

    À demain !

  • Les Pommes Sauvages et La Vie SansPrincipes - Avent littéraire #13

    Dans ma quête des quelques livres qui composent cet Avent littéraire, j’avais dans l’idée de présenter des compagnons, des amis, des livres qui sont autant une source de réconfort que de réflexion.

    En ces temps troublés où les appels à voter, non pas POUR quelque chose, mais CONTRE, se multiplient, certains réfléchissent de plus en plus à l’atroce bourbier dans lequel nous sommes tous enfoncés, et où la notion de vote, de choix, perd de sa noblesse, tant les promesses trahies et les abandons l’ont vidé de sa substance.

    Bref, sans aller plus loin dans l’analyse politique, je dirais qu’on en a gros. Bien gros même..

    Moment idéal pour ressortir ce bon vieux Henry David Thoreau, aimable et confiant compagnon de sédition !

    Thoreau n’est pas que le poète naturaliste encensé dans Le Cercle des Poètes Disparus. La révolte immobile, la désobéissance, la volonté de se débarrasser des chaines modernes, et un retour réfléchi à la nature : c’est aussi ce qu’on pourra piocher chez lui.

    Je vous présente ce soir deux de ces textes, Les Pommes Sauvages, et La Vie Sans principes, qui offrent chacun une facette de notre auteur du jour.

    Les Pommes Sauvages est un texte déroutant au départ. Que dire, des pommes et encore des pommes (n’y voyez nul sous-entendu chiraquien old school !), toujours des pommes : disséquées, étudiées, décrites, magnifiées. Les pommes et la nature qui nous les offre sont le prétexte à une déambulation, un voyage en bas de chez soi en quelque sorte. Surtout, à l’heure où ce dont nous souffrons le plus est certainement un manque d’attention aux autres et à la vie en général, Les Pommes Sauvages invite le lecteur à redevenir attentif : attentif aux petits plaisirs, aux cadeaux de la nature, à la beauté de la vie sous toutes ses formes. C’est le début d’une possible rédemption de l’homme…

    Et cette rédemption pourrait se poursuivre avec la lecture de La Vie Sans Principe : entendez la vie sans les faux principe que les intérêts industriels et capitalistes nous imposent. La vie sans ces chaines que l’on accepte de forger pour nous-mêmes et nos frères. Quel est le sens réel de la Vie ? Quel est le but d’une vie bien vécu ? Qu’apporte-t-on de beau et de bien lors de notre passage sur Terre ? C’est une question qui vaut la peine d’être posée et réfléchie.

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    «  Souvenez-vous que la valeur d'une chose n'est pas l'équivalent de l'argent qu'on peut en retirer sur le marché »

    « Si un homme marche dans la forêt par amour pour elle pendant la moitié du jour, il risque fort d'être considéré comme un tire-au-flanc ; mais s'il passe toute sa journée à spéculer, à raser cette forêt et à rendre cette terre chauve avant l'heure, on le tiendra pour un citoyen industrieux et entreprenant. »

    « Je vous en conjure, vivons sans nous laisser tirer par des chiens, à la façon des Esquimaux, des chiens qui filent ventre à terre par monts et par vaux en se mordant mutuellement les oreilles »

     

    À demain !

  • Fernando Pessoa - Avent littéraire #12

    Ce soir c’est Fernando Pessoa qui nous accompagne. Encore un promeneur, un flâneur de la vie, les pieds solidement ancrés sur terre, et la tête dans les cieux. Poète de l’exil intérieur, Pessoa partage sa mélancolie et ses interrogations à travers des textes d’une rare subtilité.

    Ce soir, je vous invite à faire un tour au Bureau de Tabac de ses pensées :

     

    Je ne suis rien
    Jamais je ne serai rien.
    Je ne puis vouloir être rien.
    Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde.

    Fenêtres de ma chambre,
    de ma chambre dans la fourmilière humaine unité ignorée
    (et si l’on savait ce qu’elle est, que saurait-on de plus ?),
    vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient continuel,
    sur une rue inaccessible à toutes les pensées,
    réelle, impossiblement réelle, précise, inconnaissablement précise,
    avec le mystère des choses enfoui sous les pierres et les êtres,
    avec la mort qui parsème les murs de moisissure et de cheveux blancs les humains,
    avec le destin qui conduit la guimbarde de tout sur la route de rien.

    Je suis aujourd’hui vaincu, comme si je connaissais la vérité;
    lucide aujourd’hui, comme si j’étais à l’article de la mort,
    n’ayant plus d’autre fraternité avec les choses
    que celle d’un adieu, cette maison et ce côté de la rue
    se muant en une file de wagons, avec un départ au sifflet venu du fond de ma tête,
    un ébranlement de mes nerfs et un grincement de mes os qui démarrent.

    Je suis aujourd’hui perplexe, comme qui a réfléchi, trouvé, puis oublié.
    Je suis aujourd’hui partagé entre la loyauté que je dois
    au Bureau de Tabac d’en face, en tant que chose extérieurement réelle
    et la sensation que tout est songe, en tant que chose réelle vue du dedans.

    J’ai tout raté.
    Comme j’étais sans ambition, peut-être ce tout n’était-il rien.
    Les bons principes qu’on m’a inculqués,
    je les ai fuis par la fenêtre de la cour.
    Je m’en fus aux champs avec de grands desseins,
    mais là je n’ai trouvé qu’herbes et arbres,
    et les gens, s’il y en avait, étaient pareils à tout le monde.
    Je quitte la fenêtre, je m’assieds sur une chaise. À quoi penser ?

    (…)

    Esclaves cardiaques des étoiles,
    nous avons conquis l’univers avant de quitter nos draps,
    mais nous nous éveillons et voilà qu’il est opaque,
    nous nous éveillons et voici qu’il est étranger,
    nous franchissons notre seuil et voici qu’il est la terre entière,
    plus le système solaire et la Voie lactée et le Vague Illimité.

    (Mange des chocolats, fillette ;
    mange des chocolats !
    Dis-toi bien qu’il n’est d’autre métaphysique que les chocolats,
    dis-toi bien que les religions toutes ensembles n’en apprennent
    pas plus que la confiserie.
    Mange, petite malpropre, mange !
    Puissé-je manger des chocolats avec une égale authenticité !
    Mais je pense, moi, et quand je retire le papier d’argent, qui d’ailleurs est d’étain,
    je flanque tout par terre, comme j’y ai flanqué la vie.)
    Du moins subsiste-t-il de l’amertume d’un destin irréalisé
    la calligraphie rapide de ces vers,
    portique délabré sur l’Impossible,
    du moins, les yeux secs, me voué-je à moi-même du mépris,
    noble, du moins, par le geste large avec lequel je jette dans le mouvant des choses,
    sans note de blanchisseuse, le linge sale que je suis
    et reste au logis sans chemise.

    (…)

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    À demain !

  • Erskine Caldwell - Le Bâtard

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    Cet été, en prenant le temps de fouiner dans ma médiathèque, je suis tombée sur un roman de Erskine Caldwell. Le nom me disait vaguement quelque chose, mais sans certitude. Je lis beaucoup de roman noir, et j’ai du croiser ce nom lors d’une de ces occasions. Toujours est-il que la maison Belfond réédite quelques vieux textes, dans une nouvelle collection, intitulée Vintage. Je me suis empressée d’emprunter ce livre, car le roman noir c’est vraiment mon truc : de Charles Willeford à Jim Thomson en passant par Ellroy, je dévore tout ce qui peut apparaître un minimum sombre et désespérant, sinueux et violent. Je préfère le roman noir au simple roman policier, car dans le roman noir on ne privilégie pas la résolution d’une énigme, d’un crime ; non, il s’agit de suivre les méandres psychologiques des protagonistes, de s’intéresser au passage à l’acte, aux conséquences, sans que la résolution de l’enquête soit primordiale.

    À cet égard, le roman de Caldwell dont je vous parle aujourd’hui, Le Bâtard, remplit toutes ses promesses et mieux encore. En effet, le lecteur fait la connaissance d’un héros, plus ou moins orphelin : sa mère, un peu danseuse, un peu pute, exerçait ses charmes on ne sait où, pendant que son fils grandissait avec aussi peu de repères que d’inhibition. Le jeune homme va donc de ville en ville, dans un sud prolétaire et raciste, prenant un travail quand il en a besoin. Entre deux, il use de ses poings et du couteau, quand il en a besoin également : sans interrogation morale, sans autre réflexe que celui de son intérêt propre.

    Tout le roman tient sur ce personnage et son absence totale de morale sociale. Et c’est important pour la suite. En effet, Il va rencontrer une jeune femme. Habituellement, quand il en désire une, il la prend, de gré ou de force. Mais là on observe chez lui un comportement différent, et le héros opère en quelque sorte une mise en retrait de ses instincts, pour l’amour de cette femme. Jusqu’à former un couple, puis une famille, avec la naissance de leur enfant.

    Cette naissance sera un autre point de basculement. Je n’ose en dire plus, mais le lecteur sera fasciné par la manière dont une certaine forme de morale, guidée par l’amour, conduira notre héros à ce qu’on ne pouvait imaginer.

    Récit court et dense, Le Bâtard se lit vraiment comme on prend une paire de claque. Violent, sans concessions, avec un personnage central hautement antipathique, ce roman de 1929 est une vraie pépite vintage, avec une approche naturaliste très intéressante. Je n’ai qu’une hâte, c’est de découvrir les autres romans d’Erskine Caldwell.