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poème

  • Saint-John Perse, Amers - Avent littéraire #19

    Ce soir, rendez-vous avec un arpenteur du monde, un diplomate écrivain, comme notre pays sait en produire de magnifique. Saint-John Perse est un être mystérieux, pour moi, quelqu’un que j’imagine d’une présence incroyable, qui transmet son magnétisme à travers ses mots.

    J’aime les poètes voyageurs, amoureux des larges étendues et des océans. Sa poésie est imposante, un peu comme celle de Hugo, même s’il n’est jamais bon de comparer en ce domaine si subjectif. En tout cas, l’œuvre de Saint-John Perse me fait l’effet d’un monument à gravir, difficile mais fascinant.

    Ce soir, deux petits extraits du recueil intitulé Amers.

     

    Et vous, Mers, qui lisiez dans de plus vastes songes, nous laisserez-vous un soir aux rostres de la Ville, parmi la pierre publique et les pampres de bronze?

    Plus large, ô foule, notre audience sur ce versant d'un âge sans déclin : la Mer, immense et verte comme une aube à l'orient des hommes,
    La Mer en fête sur ses marches comme une ode de pierre : vigile et fête à nos frontières, murmure et fête à hauteur d'hommes — la Mer elle-même notre veille, comme une promulgation divine...

    L'odeur funèbre de la rose n'assiégera plus les grilles du tombeau ; l'heure vivante dans les palmes ne taira plus son âme d'étrangère... Amères, nos lèvres de vivants le furent-elles jamais?
    J'ai vu sourire aux feux du large la grande chose fériée : la Mer en fête de nos songes, comme une Pâque d'herbe verte et comme fête que l'on fête,
    Toute la Mer en fête des confins, sous sa fauconnerie de nuées blanches, comme domaine de franchise et comme terre de mainmorte, comme province d'herbe folle et qui fut jouée aux dés...

     

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    Et ce fut au couchant, dans les premiers frissons du soir encombré de viscères, quand, sur les temples frettés d’or et dans les Colisées de vieille fonte ébréchés de lumière, l’esprit sacré s’éveille aux nids d’effraies, parmi l’animation soudaine de l’ample flore pariétale.
    Et comme nous courions à la promesse de nos songes, sur un très haut versant de terre rouge chargée d’offrandes et d’aumaille, et comme nous foulions la terre rouge du sacrifice, parée de pampres et d’épices, tel un front de bélier sous les crépines d’or et sous les ganses, nous avons vu monter au loin cette autre face de nos songes : la chose sainte à son étiage, la Mer, étrange, là, et qui veillait sa veille d’Etrangère — inconciliable, et singulière, et à jamais inappariée — la Mer errante prise au piège de son aberration.

     

    À demain

  • E. E. Cummings Erotiques - Avent littéraire #15

    Les textes érotiques sont à la mode, et font le bonheur financier du monde de l’édition. Enfin, quand je dis textes érotiques, je devrais plutôt parler de touche-pipi et d’érotisme en carton dans la lignée des Cinquante Nuances de billets de banque. Il existe de superbes récits érotiques et pornographiques, mais ce n’est pas forcément ce qui se vend le plus. Mais de tout ça, on reparlera un jour… Ce soir, j’avais juste envie de partager avec vous un des poèmes érotiques de Cummings. (Qui n’est pas QUE le poète de I Carry Your Heart With Me, du film In Her Shoes…)

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    Pour cette première fois sur le thème de l’érotisme en poésie, j’ai choisi quelque chose de très doux, de subtile et qui joue sur le symbolique. J’espère que cette suite de l’Avent littéraire vous plaira.

     

    Poème 24

    ma dame est un jardin d’ivoire,
    couvert de fleurs.

    sous la grande et silencieuse éclosion
    de couleurs subtiles que sont ses cheveux
    son oreille est une fleur frêle et mystérieuse
    des narines
    sont de timides exquises
    fleurs qui habilement remuent
    à la moindre caresse d’air qu’elle respire, ses
    yeux sa bouche sont trois fleurs. Ma dame

    est un jardin d’ivoire
    ses épaules sont de lisses et brillantes
    fleurs
    sous lesquelles percent les fleurs nouvelles
    de ses petits seins se balançant avec amour
    sa main forme cinq fleurs
    sur son ventre blanc est une maligne fleur en forme de rêve
    et ses poignets sont les plus pures plus merveilleuses fleurs ma
    dame est couverte
    de fleurs
    ses pieds sont effilés
    formés chacun de cinq fleurs sa cheville
    est une minuscule fleur
    les genoux de ma dame sont deux fleurs
    Ses cuisses sont de vastes et fermes fleurs de nuit
    et exactement entre
    elles endormie intensément
    est

    la fleur soudaine d’une totale satisfaction

    ma dame couverte de fleurs
    est un jardin d’ivoire.

    Et la lune est un jeune homme

    que je vois régulièrement, autour du crépuscule,
    entrer dans le jardin et sourire
    en lui-même.

     

     

    J'aime aussi énormément le suivant :

     

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    À demain !

  • Lope de Vega, Soliloques Amoureux d'une Âme à Dieu - Avent littéraire #14

    Ce soir, un Grand d’Espagne ! Non pas un roi, ni un empereur, mieux que ça : un écrivain. Lope de Vega n’est pas le plus connu des auteurs espagnols et c’est dommage. Si un jour l’occasion vous est donnée, offrez-vous la lecture de ses pièces de théâtre, il n’y a pas beaucoup de traduction disponible, mais l’effort de recherche sera amplement récompensé. Pour ma part, je remercie le réseau des médiathèques de ma ville, qui possède un bel éventail des œuvres de Lope de Vega !

    Lope de Vega a révolutionné le monde des Lettres en Espagne, et a laissé une œuvre foisonnante. Aujourd’hui, je m’intéresse à quelques uns de ses poèmes, intitulés Soliloques Amoureux d’une Âme à Dieu. La vie de Lope de Vega est digne d’un roman : une vie amoureuse rocambolesque, quelques passages dans l’Invincible Armada, une carrière en dent de scie, et des épreuves qui l’amènent à une crise mystique qui remettra bien des choses en causes.

    Loe de Vega, soliloques amoureux d'une âme à Dieu, éditions Allia, poésie, poème, Dieu, Christianisme, Noël, Avent

    Ce recours à Dieu est magnifiquement mis en vers dans les Soliloques. Lope de Vega s’adresse au Seigneur comme à une femme aimée. Dans ces poèmes il s’agit d’amour infini, de pardon, de rédemption et d’angoisses à apaiser.

    On découvre un auteur emprunt de mélancolie, quant à ses erreurs passées, et qui cherche le réconfort du Pardon. Pour autant, il ne s’agit pas simplement de négocier une remise sur péché, loin de là. La beauté profonde de ses soliloques réside dans sa nature profonde : une vraie déclaration d’amour à Dieu.

    En ce temps d’Avent, il ne m’est pas apparu superflu de proposer cette lecture :) Voici donc un extrait du Soliloque IV :

     

    De mon insouciance, Seigneur,

    Vous vous souciez, m’a-t-on dit.

    Si j’ai soucié Dieu ainsi,

    Pourquoi n’est-il pas dans mon cœur ?

     

    Et moi qui pensais Vous aimer,

    Par mon amour, tout simplement,

    Avec un tel comportement,

    J’étais bien loin d’y arriver.

     

    À quoi servent mes mots d’amour

    Tant sont nombreuses mes erreurs ?

    Les actes sont amour, Seigneur,

    Et non pas tous les beaux discours.

     

    Oh, Seigneur, mais quand donc serai-je

    Tel que Vous voulez que je sois ?

    Puisque Vous m’aimez et moi pas,

    De Vous et de moi que dirai-je

     

    De Vous je dis : Vous êtes Dieu,

    De moi que je ne suis pas homme,

    Car il ne se peut que l’on nomme

    Ainsi qui ne Vous connaît mieux.

     

    À demain !

  • Paul Éluard - Avent littéraire #11

    La plupart du temps, quand je dois remplir une sorte de profil sur les réseaux sociaux, je dis toujours que j’aime Paul Éluard. Aussi simple que cela, je l’aime, comme s’il était l’amoureux qui fait battre mon cœur. Je suis incapable de parler autrement de lui, alors qu’il y a tant à dire de sa vie et de ses mots offerts au monde en cadeau.

    Le mieux c’est encore de le lire, de savourer ses poèmes.

    En voici un. En voici deux. En voici trois, glanés au hasard des souvenirs.

     

     

    Mon amour pour avoir figuré mes désirs

    Mis tes lèvres au ciel de tes mots comme un astre

    Tes baisers dans la nuit vivante

    Et le sillage des tes bras autour de moi

    Comme une flamme en signe de conquête

    Mes rêves sont au monde

    Clairs et perpétuels.

     

    Et quand tu n’es pas là

    Je rêve que je dors je rêve que je rêve.

     

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    Elle est debout sur mes paupières
    Et ses cheveux sont dans les miens,
    Elle a la forme de mes mains,
    Elle a la couleur de mes yeux,
    Elle s’engloutit dans mon ombre
    Comme une pierre sur le ciel.

    Elle a toujours les yeux ouverts
    Et ne me laisse pas dormir.
    Ses rêves en pleine lumière
    Font s’évaporer les soleils,
    Me font rire, pleurer et rire,
    Parler sans avoir rien à dire.

     

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    La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
    Un rond de danse et de douceur,
    Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
    Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
    C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.

    Feuilles de jour et mousse de rosée,
    Roseaux du vent, sourires parfumés,
    Ailes couvrant le monde de lumière,
    Bateaux chargés du ciel et de la mer,
    Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

    Parfums éclos d’une couvée d’aurores
    Qui gît toujours sur la paille des astres,
    Comme le jour dépend de l’innocence
    Le monde entier dépend de tes yeux purs
    Et tout mon sang coule dans leurs regards.

     

    À demain !

     

  • René Char - Avent littéraire #10

    Ce soir encore, un poète ; ce soir encore un (presque) surréaliste. Ce soir encore un homme de combats, de résistance et de mots. Ce soir encore un poète, en somme.

    Je vous propose quelques instants avec René Char, pour la suite de cet avent littéraire. Un poète qui n’a jamais cessé d’écrire, même au front, dans le maquis avec ses camarades de lutte. Il incarne, encore une fois, cette figure du poète ancré dans le réel, qui tente de tirer quelque chose de bon et de beau des affres de l’humanité.

    Ce soir, trois poèmes, assez différents entre eux, tirés du recueil Fureur et Mystère.

     

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    Le Requin et la Mouette

    Je vois enfin la mer dans sa triple harmonie, la

    mer qui tranche de son croissant la dynastie des

    douleurs absurdes, la grande volière sauvage, la mer

    crédule comme un liseron.

    Quand je dis : j'ai levé la loi, j'ai franchi la morale,

    j'ai maillé le cœur, ce n'est pas pour me donner raison

    devant ce pèse-néant dont la rumeur étend sa palme

    au delà de me persuasion. Mais rien de ce qui m'a

    vu vivre et agir jusqu'ici n'est témoin alentour. Mon

    épaule peut bien sommeiller, ma jeunesse accourir.

    C'est de cela seul qu'il faut tirer richesse immédiate

    et opérante. Ainsi, il y a un jour de pur dans l'année,

    un jour qui creuse sa galerie merveilleuse dans

    l'écume de la mer, un jour qui monte aux yeux pour

    couronner midi. Hier la noblesse était déserte, le

    rameau était distant de ses bourgeons. Le requin et

    la mouette ne communiquaient pas.

    - O Vous, arc-en-ciel de ce rivage polisseur,

    approchez le navire de son espérance. Faites que

    toute fin supposée soit une neuve innocence, un

    fiévreux en-avant pour ceux qui trébuchent dans la

    matinale lourdeur.

     

    Post-Scriptum

    Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche;
    A vos pieds je suis né, mais vous m’avez perdu
    Mes feux ont trop précisé leur royaume;
    Mon trésor a coulé contre votre billot.

    Le désert comme asile au seul tison suave
    Jamais ne m’a nommé, jamais ne m’a rendu.

    Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche :
    Le trèfle de la passion est de fer dans ma main.

    Dans la stupeur de l’air où s’ouvrent mes allées,
    Le temps émondera peu à peu mon visage,
    Comme un cheval sans fin dans un labour aigri.

     

    Louis Curel de la Sorgue

    Sorgues qui t’avances derrière un rideau de papillons qui pétillent, ta faucille de doyen loyal à la main, la crémaillère du supplice en collier à ton cou, pour accomplir ta journée d’homme, quand pourrai-je m’éveiller et me sentir heureux au rythme modelé de ton seigle irréprochable ?…

    Sorgue, tes épaules comme un livre ouvert propagent leur lecture. Tu as été, enfant, le fiancé de cette fleur au chemin tracé dans le rocher qi s’évadait par un frelon… Courbé, tu observes aujourd’hui l’agonie du persécuteur qui arracha à l’aimant de la terre la cruauté d’innombrables fourmis pour la jeter en millions de meurtriers contre les tiens et contre ton espoir…

    Il y a un homme à présent debout, un homme dans un champ de seigle, un champ pareil à un chœur mitraillé, un champ sauvé.

    À demain :)