Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les livres - Page 17

  • Coriolan - Shakespeare

     Coriolan c’est d’abord une approche de la politique par le théâtre. Coriolan, c’est aussi un couple mère-fils d’une intensité telle qu’on entrevoit tout de suite le vaste univers psychanalytique qui le sous-tend.

    SN156544.JPG


    Coriolan c’est le héros adulé, puis déchu et honni par ceux-là même qu’il a sauvé.

    Caius Martius est un patricien dans la République de Rome alors en proie à la famine et à la misère. C’est dans ces circonstances qu’on lui reproche une trop grande arrogance vis-à-vis de la plèbe de Rome, et qu’il déserte les lieux. Pendant ce temps, l’armée ennemie, les Volsques, marche sur Rome, pour défaire Caius Martius et s’emparer de la ville. Mais Caius Martius met en déroute l’armée Volsque et met à genoux leur cité de Corioles, c’est là qu’il gagne ce surnom de Coriolan et rejoint Rome auréolé de la gloire du vainqueur, et se présente pour devenir Consul. Cette élection est l’occasion de débats violents, de confrontations entre patriciens et plèbe, et certains tribuns craignant l’abus de pouvoir par Coriolan, réussissent à faire échec à son élection de Consul, ce qui met Coriolan dans une grande colère, une vraie fureur contre le système politique. Cela lui vaut procès et exil. S’ensuit un rapprochement avec les Volsques, puis divers retournements en faveur de Rome, jusqu’à l’assassinat de Coriolan alors qu’il négocie une paix entre Rome et les Voslques.

    Toutes ces batailles, ces débats, sont pour le lecteur l’occasion d’appréhender avec distance un système politique, une stratégie et surtout l’ambition, l’envie, tout ce qui meut les peuples et leurs élites, dans des combats d’une âpreté et d’une cruauté sans fard. Et à cet égard rien n’a changé.

    Coriolan, c’est la vanité du pouvoir, c’est la versatilité des hommes, du plus puissant au plus faible, l’ingratitude et l’ambition démesurée aussi.

    L’œuvre vaut aussi par le rapport entre Coriolan et sa mère, véritable patricienne, gardienne de l’honneur, des principes et d’une certaine hauteur, pour ne pas dire arrogance, qu’elle inculque à son fils. Et c’est cette ambition toute maternelle qui pousse Coriolan, puissant moteur de ses actes héroïques. Coriolan est un valeureux soldat, un vainqueur, mais redevient le simple fils de Volumnia, sa mère, quand celle-ci laisse éclater sa fierté ou l’abreuve de conseils, voire d’ordres.

    J’ai apprécié ces différents degrés de lecture, politique, philosophique, psychologique, tout simplement la beauté du texte et l’histoire évidemment.

    Cette pièce peut paraître rébarbative, trop austère ou violente, mais elle offre vraiment plusieurs facettes, qui la rendent riche et complexe. Elle n’a rien de manichéen, il ne s’agit pas des gentils contre les méchants, mais de l’âme humaine, faite de noirceur, d’ambition, de regrets, de morale, de principes et de peur, d’audace et d’envie, de trahison et d’intégrité, tour à tour sans juger des faits.

    En gros, j’ai aimé.

    Merci à Claudialucia d’avoir proposé cette lecture commune, autour du challenge Shakespeare.

    shakes.gif

     

  • A reculons comme une écrevisse - Umberto Eco

    Umbero Eco est un romancier très apprécié, mais c’est surtout un essayiste de première. Il a la culture nécessaire, le ton...  Un don aussi de la formule joyeuse et incisive, qui fait de chacun de ses ouvrages un moment jubilatoire.

    [Aparté : c’est bien la première fois que je ne vomis pas en lisant le mot jubilatoire, galvaudé et perdant de sa force…]

    Umberto tu es jubilatoire mon bonhomme, et tu le sais, qui te fais plaisir dans ces quelques articles et conférences, regroupés dans un ouvrage à mettre entre toutes les mains.

    A reculons comme une écrevisse est normalement le genre de truc qui m’agace, c'est-à-dire un recueil d’articles ou de chroniques, pour faire un livre... Quand ce sont des people genre Nicolas Bedos ou Stéphane Guillon qui s’y collent, cela m’agace, parce que ce n’est rien d’autre qu’une compilation opportuniste.

    SN154263.JPG


    Quand c’est Umberto Eco, c’est une splendeur, parce que c’est l’alignement régulier et implacable d’une pensée qui passe au microscope les pires travers et joies de notre société moderne.

    Et cette société, elle marche sur la tête, ou à reculons, comme une écrevisse. Cette société, elle est à se flinguer de stupidité parfois, réactionnaire et frileuse, qui réinvente sans cesse des guerres, des pinailleries, des affrontements abscons…

    Au travers de ses chroniques pour le Corriere della Serra, Umberto Eco aborde le 11 septembre, ses conséquences illogiques et désastreuses, la réédition des affrontements anciens chrétiens/islam, la guerre en Irak, le populisme médiatique, le triomphe des crétins, le triomphe des Berlusconi et des discours raccourcis de bêtises et brillants des mille feux de la déraison.

    Dois-je préciser que j’ai aimé ?

    Lisez-le, et apprenez comme on peut être intelligent et pourtant se vautrer dans la facilité, dans les hormones et le sentiment primaire du « moi j’ai raison ».

    Lisez-le et apprenez comme il ne suffit pas de s’offusquer qu’on nous manipule, qu’on nous prenne pour des enfants bêtes…

    Umberto Eco est un génie en son domaine, celui de mettre le doigt où cela fait mal.

  • Le cas Sneijder

     L’absurde mène souvent à la vérité. Qui veut réfléchir posément aux choses sait bien qu’on arrive souvent à la bonne destination en empruntant les chemins les plus tortueux.

    C’est encore plus vrai en littérature.

    Jean-Paul Dubois est de ceux qui ouvrent un chemin curieux dans notre cerveau de lecteur, pour arriver pile au cœur et à la raison. C’est par l’entremise d’un ascenseur que se fait le voyage pour cette fois.

    Un ascenseur accidenté, duquel ressortira vivant Sneijder, mais sans sa fille morte lors de cet accident d’ascenseur. Drôle d’histoire. Voilà un homme un peu effacé, un peu rentré en lui-même, qui se passionne dès lors pour les ascenseurs, leur histoire, leur technique. Sneijder s’emmure presque dans un ascenseur fictif, qui le fait voyager dans tout les sens vers le moindre recoin de sa mémoire, le moindre questionnement venant à la rescousse d’un quotidien qu’il ne comprend plus.

    Pourquoi. C’est la question qu’il se répète sans cesse, et sous toutes les forme. Et la chute mortelle de l’ascenseur est comme un parallèle à la chute de sa propre vie, de couple, de famille, d’homme reclus en lui-même.

    Le cas Sneijder est un excellent roman, difficile de dire autre chose. Jean-Paul Dubois écrit la solitude comme personne. Sa trousse à outil dissèque aussi bien la mécanique des ascenseurs que celle de la vie. Etonnant, non ?

    SN155677.JPG

    Pas cher en poche, dans les 7€ au Point

  • L'Impossible - Michel Butel

    Dans le milieu des années 80, j’étais petite, oui, une gentille petite fille, mais très curieuse, et déjà folle de lecture en tous genres. Entre Jeune et Jolie, et Ok Magazine, je prenais le temps de lire aussi Globe hebdo, Actuel et l’Autre Journal. Ce dernier était une revue fondée par le merveilleux Michel Butel.

    Globe Hebdo, Actuel, puis l’Autre Journal, ont cessé leur publication (un peu comme feu Jeune et Jolie me direz-vous), et je restais nostalgiques de ces années particulières du journalisme.

    Michel Butel a retenté une nouvelle aventure cette année, avec la création de la revue l’Impossible. Cette revue est un mélange d’actu, de littérature, de photos, plus largement d’art sous toutes ses formes, avec des plumes de qualités,  plus écrivains que journalistes au sens où on pourrait l’entendre (et auquel j’accorde moins de qualités, tant les journaux classiques sont entrés dans un jeu médiatico-bouffonesque ridicule...)

    L’Impossible est de ces revues que l’on conserve après les avoir lu,  pour les feuilleter à nouveau, s’imprégner des dessins, des photos, des mots des auteurs qui abordent des sujets aussi divers que l’ Amérique selon Jerome Charyn, le couturier Alexander MacQueen,  le changement économique sous l’ère Hollande, le cinéma, l’encyclopédie du pied, des portfolio époustouflants, bref un objet précieux pour qui aime tout les savoirs, toutes les cultures.

    Sur le site du journal, vous trouverez le manifeste de Michel Butel qui explique la raison d’être de cette revue. Parmi ses arguments, je vous livre celui qui m‘a le plus marqué :

    « Parce que l’information est morte, c’est-à-dire illisible, inaudible, invisible, si elle n’est pas animée-ranimée par les mots, par une langue, par un style, par une pensée, inédites. Un journal doit être un événement, au sens radical de ce mot, dans la vie de chacun. Il doit troubler. Il doit inquiéter. Il doit émouvoir. Il doit transmettre l’énergie vitale sans quoi nous nous effritons de jour en jour. »

    Je suis certaine que chacun d’entre nous peut se retrouver dans l’une ou l’autre des lignes du manifeste.

    SN156291.JPG


  • Ritournelle de la Faim - J.M.G. Le Clézio

    Sortir des agapes de fins d’années et se rappeler de ce récit de Jean-Marie Gustave Le Clézio, Ritournelle de la Faim… Cette lecture de la fin de l’année dernière m’a marquée, comme tout ce que peut écrire Le Clézio.

    SN156343.JPG


    Nous sommes au début des années trente, dans un Paris encore gai, habité par les promenades quotidiennes d’un grand-père et de sa petite fille.

    La jeune fille, c’est Ethel, débarquée quelques temps auparavant avec sa famille de la chaleur des îles pour ce Paris plein de promesses, mais de pièges aussi. La vie de Ethel, c’est le collège, sa famille, avec des parents très bohèmes, petite noblesse presque déclassée, toujours à courir après l’argent, surtout parce que le père le dépense inconsidérément, le prête, le donne, l’investit, avec autant de folie que celle qu’il met dans ses idées, ses projets, aussi gonflés et vides qu’un ballon de baudruche. La mort du grand-père chéri laisse à Ethel un petit héritage, dont s’emparera le père, tout confit dans sa veulerie et son besoin de briller en société, dans son appartement qui fait salon et table ouverte au moins aimables des pique-assiettes possible.

    Ethel voit mourir avec son grand-père la promesse de recréer un autre cocon de chaleur et d’exotisme à paris, et surtout la petite sécurité financière qui lui était offerte. Elle regarde ses parents tomber, et avec eux déchoir le respect, les valeurs et les principes qui pouvaient être un soutien. La passion que nourrissent les deux parents pour eux-mêmes oblige Ethel à grandir plus vite que nécessaire, et la ruine causée par son père, la guerre qui éclate, l’extrême pauvreté, c’est ce qu’elle devra porter en elle, comme un fardeau invisible. Ce fardeau va l’emmener jusqu’à Nice, où bonne fille, elle sera pour ses parents le soutien sans faille qu’ils n’ont pas été pour elle. Cette ritournelle de la faim, cette petite musique du manque, elle nous accompagne tout le long du livre, quand, spectateur nous assistons à la chute, à l’extrême pauvreté, au courage et à la force aussi.

    Et si ce récit est un hommage à la mère de l’auteur, on comprend vite comment une femme d’une telle vitalité, d’une telle loyauté aussi, peut marquer à jamais.

    C’est un roman court, qui opère un charme particulier, mélange de compassion et d’affection.

    Le Clézio conclut son récit par cet aveu : « J'ai écrit cette histoire en mémoire d'une jeune fille qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans »  une héroïne qui m’a plu.