Le choix du prénom d'un enfant par les parents est parfois le reflet de désirs intérieurs, de frustrations, d'espoirs ou de déceptions passées que l'on veut oublier.
Dans le roman de Julien Green « Les Pays Lointains », Elisabeth Escridge finit par avoir un enfant, à qui elle donne le nom de celui qu'elle aime vraiment : héritage lourd à porter pour un enfant que d'être l'écho d'un être aimé et devenu inaccessible.
Ce n'est pas toujours aussi conscient que dans le cas d'Elisabeth.
J'aime mon prénom IRL, c'est celui de ma grand-mère que je n'ai pas connue. C'est aussi pour la croyante que je suis, celui d'une femme extraordinaire, une combattante, une femme de caractère intelligente et forte, la femme préférée.
On me voit la plupart du temps comme ça. Alors que je ne suis pas aussi déterminée et inflexible qu'elle.
Le choix d'un pseudonyme est encore plus guidé par le désir et l'illusion du choix d'être soi.
On se choisi un pseudonyme à l'image que l'on voudrait être, ou comme un miroir, un refuge.
J'aime mon pseudo, Océane. Il a une histoire bien précise, faite de résolutions et d'espoirs.
Je dis parfois sur le ton de la plaisanterie que j'ai été mariée une fois et demi, mais c'est en quelque sorte la réalité. Mon premier mariage est intervenu vers mes 17 ans. J'avais rencontré un garçon extraordinaire, qui me trouvait extraordinaire aussi. Trop cool la vie parfois, surtout à 17 ans.
J'étais en vacances, et je suis rentrée dans une librairie, où ce jeune homme était vendeur l'été pour payer ses études d'architecture. J'avais 15 ans, lui 5 de plus, il était beau ce con, et intelligent, cultivé, politisé, drôle. On s'est tout de suite entendue. Je m'entends souvent bien avec les gens au début, c'est après que ça se gâte.
J'aimais son côté déterminé, romantique, tellement cultivé et éclectique. Il m'apprenait plein de choses, me parlait de Gaudi son idole, de Niemeyer, de ses projets. Il avait cette faculté de me trouver toutes les qualités du monde, surtout celle d'être une fille pas comme les autres.
Mais après tout, quoi de plus normal. On est toujours la « fille pas comme les autres » aux yeux de l'amoureux. Mais il insistait, me disait que j'étais différente, moins compliquée, accessible, pas obsédée par des schémas relationnels. Juste une fille amoureuse qui l'admet naïvement, puis se préoccupe de sa liste de bouquins à lire, puis de la réélection de François Mitterrand. Une naïveté qu'il aimait, garante de sincérité et de simplicité. Nous avons joué à Roméo et Juliette un moment, jusqu'à nous marier lors d'une cérémonie qui n'était pas du tout valable. Bref, ce qui comptait c'était juste nous 2. On ne se voyait pas en dehors des vacances scolaires puisque je regagnais les pénates de mon pensionnat d'Ursulines, et que lui repartait en cours bien loin de Nantes. Ça a duré le temps que dure les fleurs de cerisiers avant de finir en tapis boueux : pas bien longtemps. Quand nos parents respectifs se sont mêlés de nos vies que l'on gâchait selon eux, Roméo s'est montré plus dubitatif que Juliette. Nous étions jeunes, mais pas très larges d'épaules, surtout lui en fait. Nous devions obéir à nos parents, terminer nos études, et après on se marierait pour de bon et nous aurions plein d'enfants.
Certes.
Il s'est bien remarié.
Pendant ses études.
Avec sa binôme.
Tout en m'aimant toujours, bien sûr. Comment m'avait-il formulé cela ? Les souvenirs se mélangent un peu maintenant. Mais je me rappelle qu'il avait peur de moi, peur de ne pas m'apporter ce qu'il convenait. Je ne demandais rien, et c'est ce qui lui faisait peur : ne pas connaître par avance « le tarif » de notre vie était pour lui un manque de repère ingérable. J'étais trop particulière, trop accessible, trop franche, trop transparente : rien que de très louche au fond. Personne ne peut être comme ça : autant cela l'attirait et l'attire encore, autant cela l'effrayait.
Et moi je me suis détesté autant que je le détestais lui. Je me suis mise à haïr la petite bécasse faible et niaise, qui se contente d'être ce qu'elle est, qui se donne au gens sans se méfier.
Pleurer et me demander pourquoi ne servait qu'à me rendre encore plus malheureuse.
La situation était simple : si la personne à qui je faisais le plus confiance, et qui admettait sans fard m'aimer toujours, m'abandonnait, à qui faire confiance ? Personne.
Aimer les gens a priori, ce n'était plus à l'ordre du jour. Je me suis mise à voir l'autre comme un ennemi presque, tout du moins quelqu'un dont il convient de se méfier.
Celle que j'étais n'était manifestement pas à la hauteur.
Arrivée à la fac, avec ma meilleure amie, A. nous avons appliqué les mêmes résolutions, pour des raisons différentes, mais aux conclusions similaires. Se servir des autres avant qu'on se serve de nous. J'ai appris le cynisme, la manipulation, la distanciation. Je ne m'attachais à personne et je ne livrais rien de moi à personne, rien qui puisse donner prise et qui puisse me revenir comme une flèche dans le cœur. C'est à cette époque que j'ai commencé à utiliser mon pseudo, quand je pouvais éviter de donner mon prénom, juste pour ne pas être elle, la gentille idiote, et puis pour me signifier à moi-même que je ne m'attacherais pas forcément. Océane étant plus forte en réalité et surtout surtout indifférente et détachée de tout.
Ce prénom était doux et très féminin, presque trop, en apparence. J'aimais ce côté trompeur du pseudo.
Et puis lors d'une campagne électorale en pleine cambrousse j'ai encore trouvé à me servir de ce pseudo. Les partis politiques aiment bien parachuter les jeunes dans des cantons ingagnables, mais qui font apprendre le terrain comme jamais. Triste à dire mais en 1993 dans la campagne ligérienne, il valait mieux se présenter à la porte de l'électeur avec un prénom pas trop exotique non plus. Avec la candidate dont je dirigeais la campagne, on s'est bien amusé, et je me suis encore plus attachée à ce pseudo, la marque de la fille qui contrôle la situation.
Sauf qu'on n'est jamais que ce que l'on peut être au fond de soi. On a beau se sentir faible ou décalée, qui aime t'on vraiment si ce n'est la personnalité qui forge son âme.
Un pseudo n'est qu'une illusion, même si l'on veut y croire très fort. Je suis A. Je suis O.
O. est retombée comme toujours dans le piège de A. L'attachement, l'affect. On est jamais que ce que l'on est.
Se choisir un comportement, des réactions, ou plutôt espérer qu'ils découlent d'un nouveau baptême, c'est croire en la magie du verbe. Mais celle-ci nécessite un abandon total de soi, un engagement sans faille. La naissance de Monte-Christo ne s'est faite que par la mort d'Edmond Dantès. Il faudrait ne pas s'accrocher à cet ancien soi, mais l'abandonner totalement. Seulement le prix est payer n'est rien d'autre que le reniement de soi. Et c'est ce que Mercedes dit au Comte de Monte-Christo : Edmond je ne te reconnais plus. Mais il n'y a plus d'Edmond. Lequel ne vit finalement pas comme il le croyait ce renoncement à lui-même.
Il n'est pas nécessaire d'en passer par un pseudo pour vivre ce renoncement bien sûr, ce n'est que le prétexte à l'exposé des motifs ici.
La réflexion porte surtout sur le fait de s'aimer quand même malgré ce qu'on identifie comme des faiblesses propre à donner prise aux autres. Préférer être comme on est malgré le risque de souffrir par les autres, ou s'obliger à être un autre et en payer le prix : ne plus être soi-même.
Il faut croire que je ne saurais jamais renoncer à moi-même. J'aime cette personne que je suis au fond. De même que je préfère la connaissance à l'ignorance malgré les questionnements douloureux que cela suppose, je préfère aussi mes faiblesses envers les autres, que cette carapace qui n'étouffe que mon cœur.
Océane c'est un peu trop moi.
Océane se retire donc.