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Poésie - Page 6

  • Booz Endormi

    Je profite du challenge Victor Hugo, initié par Claudialucia, pour partager avec vous un poème de Victor Hugo: Booz Endormi, tiré de l’incroyablement belle Légende des Siècles.

    Il est particulier, ce poème. Bon, c'est Victor Hugo, donc forcément c'est géant et puissant, mais c'est aussi facétieux !

    Et sinon, vous, tout va bien ?

     

     

     

    Chellenge Hugo.jpg

     

    Booz s'était couché de fatigue accablé ;
    Il avait tout le jour travaillé dans son aire ;
    Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;
    Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.

    Ce vieillard possédait des champs de blés et d'orge ;
    Il était, quoique riche, à la justice enclin ;
    Il n'avait pas de fange en l'eau de son moulin ;
    Il n'avait pas d'enfer dans le feu de sa forge.


    Sa barbe était d’argent comme un ruisseau d’avril.
    Sa gerbe n’était point avare ni haineuse ;
    Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse ;
    « Laissez tomber exprès des épis, » disait-il.

    Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,
    Vêtu de probité candide et de lin blanc ;
    Et, toujours du côté des pauvres ruisselant,
    Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

    Booz était bon maître et fidèle parent ;
    Il était généreux, quoiqu’il fût économe ;
    Les femmes regardaient Booz plus qu’un jeune homme,
    Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

    Le vieillard, qui revient vers la source première,
    Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;
    Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens.
    Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière.

    *
     
    Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens.

    Près des meules, qu’on eût prises pour des décombres,

    Les moissonneurs couchés faisaient des groupes sombres ;
    Et ceci se passait dans des temps très-anciens.

    Les tribus d’Israël avaient pour chef un juge ;
    La terre, où l’homme errait sous la tente, inquiet
    Des empreintes de pieds de géants qu’il voyait,
    Était encor mouillée et molle du déluge.

    *
     
    Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,
    Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée ,
    Or, la porte du ciel s’étant entre-bâillée
    Au-dessus de sa tête, un songe en descendit.

    Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
    Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au ciel bleu ;
    Une race y montait comme une longue chaîne ;
    Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu.

    Et Booz murmurait avec la voix de l’âme
    « Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt ?
    Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt.
    Et je n’ai pas de fils, et je n’ai plus de femme.

     » Voilà longtemps que celle avec qui j’ai dormi,
    Ô Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre ;
    Et nous sommes encor tout mêlés l’un à l’autre,
    Elle à demi vivante et moi mort à demi.
     

    » Une race naîtrait de moi ! Comment le croire ?
    Comment se pourrait-il que j’eusse des enfants ?
    Quand on est jeune, on a des matins triomphants ;
    Le jour sort de la nuit comme d’une victoire ;

     » Mais, vieux, on tremble ainsi qu’à l’hiver le bouleau ;
    Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe.
    Et je courbe, ô mon Dieu ! mon âme vers la tombe,
    Comme un bœuf ayant soif penche son front vers l’eau. »

    Ainsi parlait Booz dans le rêve et l’extase.
    Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ;
    Le cèdre ne sent pas une rose à sa base,
    Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.

    *
     
    Pendant qu’il sommeillait, Ruth, une moabite,
    S’était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
    Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
    Quand viendrait du réveil la lumière subite.

    Booz ne savait point qu’une femme était là.
    Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d’elle.
    Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèle ;
    Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.

    L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
    Les anges y volaient sans doute obscurément.
    Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
    Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

    La respiration de Booz qui dormait,
    Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.
    On était dans le mois où la nature est douce,
    Les collines ayant des lys sur leur sommet.

    Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire ;
    Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
    Une immense bonté tombait du firmament ;
    C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.


    Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
    Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
    Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre
    Brillait à l’occident, et Ruth se demandait,

    Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,
    Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été,
    Avait, en s’en allant, négligemment jeté
    Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.

  • Maurice Maeterlinck - Une petite pincée pour commencer

    Maeterlin.jpg

    Tous les prétextes sont bons pour parler poésie, et suite à un billet chez Keisha, j’ai eu vent du Mois Belge, instauré pour ce mois d’avril par Anne et Mina. Alors j’ai eu envie de participer, en rappelant à notre bon souvenir mon cher Maurice Maeterlinck, auteur dont j’apprécie particulièrement la poésie.

    On reparle de cet auteur très vite, en attendant, un poème que j'aime relire.

     

    Serre chaude

    Ô serre au milieu des forêts !
    Et vos portes à jamais closes !
    Et tout ce qu'il y a sous votre coupole !
    Et sous mon âme en vos analogies !

    Les pensées d'une princesse qui a faim,
    L'ennui d'un matelot dans le désert,
    Une musique de cuivre aux fenêtres des incurables.

    Allez aux angles les plus tièdes !
    On dirait une femme évanouie un jour de moisson ;
    II y a des postillons dans la cour de l'hospice ;
    Au loin, passe un chasseur d'élans, devenu infirmier.

    Examinez au clair de lune !
    (Oh rien n'y est à sa place !)
    On dirait une folle devant les juges,
    Un navire de guerre à pleines voiles sur un canal,
    Des oiseaux de nuit sur des lys,
    Un glas vers midi,
    (Là-bas sous ces cloches !)
    Une étape de malades dans la prairie,
    Une odeur d'éther un jour de soleil.
    Mon Dieu ! mon Dieu ! quand aurons-nous la pluie,
    Et la neige et le vent dans la serre !

     

    Si vous souhaitez en savoir plus sur le Mois Belge, c’est chez Mina et Anne.mois-belge-logo-folon-sculpture.jpg

     

     

    Je vous souhaite un joli weekend de Pâques !

     

     

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  • Printemps des Poètes - Suite

    Continuons ce Printemps des Poètes avec celui qui en est l'image cette année, et qui est certainement un de ceux que j'aime le plus lire : Vladimir Maïakovski.

    Quelques vers :

    Écoutez !
    Puisqu'on allume les étoiles,
    c'est qu'elles sont à
    quelqu'un nécessaires?
    C'est que quelqu'un désire
    qu'elles soient?
    C'est que quelqu'un dit perles
    ces crachats?
    Et, forçant la bourrasque à midi des poussières,
    il fonce jusqu'à Dieu,
    craint d'arriver trop tard, pleure,
    baise sa main noueuse, implore
    il lui faut une étoile!
    jure qu'il ne peut supporter
    son martyre sans étoiles.

    Ensuite,
    il promène son angoisse,
    il fait semblant d'être calme.
    Il dit à quelqu'un :
    " Maintenant, tu vas mieux,
    n'est-ce pas? T'as plus peur ? Dis ? "

    Écoutez !
    Puisqu'on allume les étoiles,
    c'est qu'elles sont à quelqu'un nécessaires ?
    c'est qu'il est indispensable,
    que tous les soirs
    au-dessus des toits
    se mette à luire seule au moins
    une étoile?

     

    Et puis les mêmes vers, en lecture:


    podcast

     

    D'autres poèmes à découvrir chez Claudialucia.

     

     

     

  • Printemps des Poètes - Anna Akhmatova

    Le Printemps des Poètes 2015 fait belle place cette année à l’idée de l’insurrection poétique. Et ça me plait ! Car combien de fois j’ai entendu « à quoi sert la poésie » « à rien » « les poètes sont de doux rêveurs » etc…

    La poésie et les poètes ne sont pas (que) de doux rêveurs sans idée de la vraie vie. L’histoire porte assez d’exemple de poètes résistants, combattants, qui avec leurs mots, et puis leur propre personne, se sont donné à la cause qu’ils croyaient juste.

    Parmi mes poètes favoris, il y a Paul Éluard, Vladimir Maïakovski, Robert Desnos, Anna Akhmatova, autant de poètes qui ont porté la plume dans le sang du réel.

    Quelques jours par an pour se rappeler d’eux n’est pas de trop :)

    Aujourd’hui je vous propose quelques vers de Anna Akhmatova, poétesse russe qui a croisé la route d’autres génies de son temps. Ce qui nous vaut quelques beaux portraits d’elle par Modigliani par exemple. Son style est significatif du courant acméiste, c'est-à-dire qu’il se concentre sur le quotidien, le réel, abandonnant les fioritures inutiles au profit de la précision et de la lucidité.

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    Anna Akhmatova par Nathan Altman

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    Deux portraits par Modigliani

     

    Quatrième élégie

     

    Nos souvenirs connaissent trois périodes.

    Dans la première, tout est comme hier,

    L’âme se plaît sous leurs voûtes bénies,

    Le corps se plaît dans leur ombre propice

    Le rire vit encore, les larmes coulent,

    La tache d'encre est encore sur la table -

    Et ce baiser comme un sceau sur le cœur,

    Unique inoubliable, baiser d'adieu…

    Mais cette période n'est pas très longue.

    Au lieu de voûtes bénies, une maison

    Solitaire dans un lointain faubourg,

    Où il fait froid l'hiver et chaud l'été,

    Où la poussière et l'araignée s'étalent,

    Où les lettres brûlantes en cendres tombent

    Et les portraits s'altèrent en cachette.

    On y va comme on va sur les tombes,

    En rentrant on se lave les mains,

    En essuyant une larme fugace

    Des yeux lassés, avec un lourd soupir…

    Mais l'horloge tictaque, les printemps

    Se suivent sans répit, le ciel rosit ;

    Le nom des villes eux-mêmes changent, et

    S’en vont les témoins des événements.

    Qui va pleurer, qui va se souvenir

    Et lentement nous abandonnent les ombres

    Que nous n'appelons plus, dont le retour

    Nous aurait même été effrayant.

    Soudain éveillés, nous constatons que nous avons oublié jusqu'au chemin

    De cette maison. Étouffant de honte,

    Nous y courons, mais (comme dans tous les rêves)

    Tout a changé : êtres, choses, murs -

    Nous sommes étrangers. On nous ignore ;

    Ailleurs, nous sommes ailleurs… seigneur Dieu !

    Puis vient le plus terrible : nous voyons

    Que nous ne pourrions mettre ce passé

    Dans notre vie présente, et qu'il est

    Devenu aussi étranger pour nous

    Que pour notre voisin de palier ; que

    Nous ne saurions reconnaître nos morts

    Et que ceux dont le sort nous sépara

    S’en accommodent parfaitement. Et même

    Que tout est pour le mieux…

     

    Tip du jour →StA.jpg