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Poésie - Page 10

  • Anna K. lit Paul E.

    Un dimanche sans poésie, n’est pas un joli dimanche, n’est-ce pas ? Et de toute façon, il y a toujours une bonne raison d’en lire un, ou mieux encore, de l’entendre lu, divinement, par Anna Karina en l’occurrence.

    Quelques lignes parmi les plus belles, de Paul Eluard, tiré de Capitale de la Douleur, véritable Cor Cordium de la poésie à mes yeux.

    Cette lecture est tirée du film de Godard, Alphaville.


    Ta voix, tes yeux…
    Tes mains, tes lèvres…
    Nos silences, nos paroles…
    La lumière qui s’en va…
    La lumière qui revient.
    Un seul sourire pour nous deux.
    Par besoin de savoir,
    J’ai vu la nuit créer le jour sans que nous changions d’apparence.
    O bien aimé de tous,
    Et bien aimé d’un seul…
    Au silence de ta bouche
    A promis d’être heureuse.
    De loin en loin est la haine;
    De proche en proche est l’amour.
    Par la caresse,
    Nous sortons de notre enfance.
    Je vois de mieux en mieux la forme humaine
    Comme un dialogue d’amoureux,
    Le coeur n’a qu’une seule bouche.
    Toutes les choses au hasard,
    Tous les mots dits sans y penser
    Les sentiments à la dérive
    Les hommes tournent dans la ville.
    Le regard, la parole
    Et le fait que je t’aime.
    Tout est en mouvement.
    Il suffit d’avancer pour vivre,
    D’aller droit devant soi,Vers tous ceux que l’on aime
    J’allais vers toi, j’allais sans fin vers la lumière.
    Si tu souris, c’est pour mieux m’envahir
    Les rayons de tes bras entrouvaient le brouillard…

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  • Voilà l'été (ou pas)

    Quelques vers pour figurer un été fantasmé, à défaut de soleil dans nos cieux !

     

    C'est l'été. Le soleil darde
    Ses rayons intarissables
    Sur l'étranger qui s'attarde
    Au milieu des vastes sables.

    Comme une liqueur subtile
    Baignant l'horizon sans borne,
    L'air qui du sol chaud distille
    Fait trembloter le roc morne.

    Le bois des arbres éclate.
    Le tigre rayé, l'hyène,
    Tirant leur langue écarlate,
    Cherchent de l'eau dans la plaine.

    Les éléphants vont en troupe,
    Broyant sous leurs pieds les haies
    Et soulevant de leur croupe
    Les branchages des futaies.

    Il n'est pas de grotte creuse
    Où la chaleur ne pénètre.
    Aucune vallée ombreuse
    Où de l'herbe puisse naître.

    Au jardin, sous un toit lisse
    De bambou, Sitâ sommeille :
    Une moue effleure et plisse
    Parfois sa lèvre vermeille.

    Sous la gaze, d'or rayée,
    Où son beau corps s'enveloppe,
    En s'étirant, l'ennuyée
    Ouvre ses yeux d'antilope.

    Mais elle attend, sous ce voile
    Qui trahit sa beauté nue,
    Qu'au ciel la première étoile
    Annonce la nuit venue.

    Déjà le soleil s'incline
    Et dans la mer murmurante
    Va, derrière la colline,
    Mirer sa splendeur mourante.

    Et la nature brûlée
    Respire enfin. La nuit brune
    Revêt sa robe étoilée,
    Et, calme, apparaît la lune.

    L'été - Charles Cros

  • Juin, il pleut...

    Un poème de circonstance, qui fait les yeux un peu mouillés, comme l'est ce ciel de juin. Je suis toujours surprise de voir comme parfois les saisons de la nature suivent un peu celles du coeur. S'il pleut au ciel, qu'il pleuve dans mon coeur ou dans le jardin, le résultat sera le même : à quand le soleil ?

    Juin - René-François SULLY PRUDHOMME

    Pendant avril et mai, qui sont les plus doux mois,
    Les couples, enchantés par l'éther frais et rose,
    Ont ressenti l'amour comme une apothéose ;
    Ils cherchent maintenant l'ombre et la paix des bois.

    Ils rêvent, étendus sans mouvement, sans voix ;
    Les coeurs désaltérés font ensemble une pause,
    Se rappelant l'aveu dont un lilas fut cause
    Et le bonheur tremblant qu'on ne sent pas deux fois.

    Lors le soleil riait sous une fine écharpe,
    Et, comme un papillon dans les fils d'une harpe,
    Dans ses rayons encore un peu de neige errait.

    Mais aujourd'hui ses feux tombent déjà torrides,
    Un orageux silence emplit le ciel sans rides,
    Et l'amour exaucé couve un premier regret.

     

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  • Comprenne qui pourra

    L’autre soir, le souvenir de Gabriel Russier m’est revenu en tête, alors qu’on parlait d’Annie Girardot. Cette dernière avait joué son rôle, en quelque sorte, dans le film d’André Cayatte, Mourir d’ Aimer. Outre la très belle chanson d’Aznavour, cette histoire me remet en mémoire le poème de Paul Eluard, cité par Pompidou après le suicide de Gabriel Russier…

    Pour ceux qui ne savent pas, Gabriel Russier était une enseignante de 32 ans, tombée amoureuse d’un élève de 16 ans, elle a été incarcérée, puis s’est suicidée. Atroce histoire…

    A son décès Pompidou avait cité quelques vers d’un poème de Eluard, qui faisait référence aux femmes tondues de la libération, ces femmes « mal » tombées amoureuse…

    C’est ce poème que je vous propose aujourd’hui. L’amour est une force indépendante de notre volonté, n’est-ce pas ?  

     

    Comprenne qui voudra
    Moi mon remords ce fut
    La malheureuse qui resta
    Sur le pavé
     La victime raisonnable
    À la robe déchirée
    Au regard d’enfant perdue
    Découronnée défigurée
    Celle qui ressemble aux morts
    Qui sont morts pour être aimés

    Une fille faite pour un bouquet
    Et couverte
    Du noir crachat des ténèbres

    Une fille galante
    Comme une aurore de premier mai
    La plus aimable bête

    Souillée et qui n’a pas compris
    Qu’elle est souillée
    Une bête prise au piège
    Des amateurs de beauté

    Et ma mère la femme
    Voudrait bien dorloter
    Cette image idéale
    De son malheur sur terre.

    Paul ELUARD

  • William S. - Sonnet CXLVII

    William, le grand William Shakespeare n’a pas écrit que des pièces au ressort dramatique puissant. Il a aussi produit une magnifique œuvre poétique. C’est un de ces sonnets que je vous propose aujourd’hui. Un sonnet sombre et affligé, comme parfois l’amour peut l’être. (Après tout, c’est bientôt la Saint-Valentin, dénotons un peu au milieu de tout ce rose ^^)

    Et puis, c’est pour moi l’occasion de remettre les pieds, ailés, dans le challenge de Maggie et Claudialucia.

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    Le Sonnet CXLVII n’est pas d’une gaieté folle, certes, mais la noirceur des vers vient au secours d’un cœur déchiré, passé l’amour il reste le soin de la raison…

    My love is as a fever longing still,
    For that which longer nurseth the disease;
    Feeding on that which doth preserve the ill,
    The uncertain sickly appetite to please.
    My reason, the physician to my love,
    Angry that his prescriptions are not kept,
    Hath left me, and I desperate now approve
    Desire is death, which physic did except.
    Past cure I am, now Reason is past care,
    And frantic-mad with evermore unrest;
    My thoughts and my discourse as madmen's are,
    At random from the truth vainly expressed;
    For I have sworn thee fair, and thought thee bright,
    Who art as black as hell, as dark as night.

    Mon amour est comme une fièvre toujours altérée de ce qui l’alimente incessamment : il se nourrit de ce qui perpétue sa souffrance pour satisfaire son appétit troublé et morbide.
    Ma raison, médecin de mon amour, fâchée de ce que ses prescriptions ne sont pas suivies, m’a abandonné, et moi, désormais désespéré, je reconnais que l’affection que combattait la science est mortelle.
    Ma raison étant impuissante, je suis désormais incurable, et je délire frénétiquement dans une incessante agitation. Mes pensées et mes paroles sont, comme celles des fous, de vaines et fausses divagations.
    Car j’ai juré que tu es blanche et cru que tu es radieuse, toi qui es noire comme l’enfer et ténébreuse comme la nuit.

    william shakespeare, poésie, sonnet, sonnet 147, challenge


    Je vous souhaite un dimanche plus heureux tout de même :)